A 28 ans, ce journaliste politique proche d’Eric Zemmour et de Marion Maréchal-Le Pen a été propulsé directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. Un hebdo qui, pour ses 50 ans, s’offre une nouvelle jeunesse, à droite toute.
Le faste de l’hôtel des Invalides, chef-d’œuvre d’architecture classique, n’a d’égal que l’éminence de ses hôtes de droite et d’extrême droite, ce 5 octobre à Paris. Ce soir-là, sous les peintures murales de la salle Turenne illustrant les campagnes militaires de Louis XIV, Philippe de Villiers, Patrick Buisson, Claude Guéant, Henri Guaino, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen dissertent dans une ambiance feutrée en sirotant du champagne.
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Insensiblement, leurs regards se tournent vers un jeune homme châtain aux yeux bleus et à la mèche rebelle qu’ils saluent les uns après les autres comme s’il était le maître de cérémonie. L’attraction qu’il exerce sur eux n’est pas anodine : Geoffroy Lejeune, 28 ans, a été nommé en juin directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, hebdomadaire dont toute la nomenklatura ultraconservatrice est venue fêter le cinquantième anniversaire.
Deux unes ont été sanctionnées pour “incitation à la haine”
C’est dire si ce magazine d’une droite libérale conservatrice bon teint, moribond il y a dix ans, a le vent en poupe – comme le prouve le lancement d’une nouvelle formule. Il n’en faut pas plus à Yves de Kerdrel, directeur de la publication, pour vanter devant les cinq cents personnes réunies dans le noble édifice “le journal le plus dynamique de la presse française”.
Avec ses unes tapageuses – dont deux ont été sanctionnées pour “incitation à la haine” – et ses titres anxiogènes (“Les saboteurs de la France” pour François Hollande, Philippe Martinez et Manuel Valls ; “L’Ayatollah” pour Najat Vallaud-Belkacem ; “La femme qui vide les prisons” pour Christiane Taubira…), Valeurs actuelles est surtout devenu le carrefour des droites les plus réactionnaires. Celles que d’anciens militants de la Manif pour tous rêvent de voir se rassembler pour “redresser la France dès 2017”.
En mai, Valeurs actuelles était même coorganisateur des Rendez-vous de Béziers, lieu de confluence de “la droite hors les murs”, où l’on croisait notamment le théoricien du “grand remplacement”, Renaud Camus, et celui de la “préférence nationale”, Jean-Yves Le Gallou. Et si, emporté par l’élan de son renouveau, le magazine de la “droite décomplexée” s’était lancé dans une fuite en avant identitaire ?
“Le grand hebdo qui parle à toutes les droites” Geoffroy Lejeune
Geoffroy Lejeune – qui a gravi les échelons de la rédaction en un temps record – a tout prévu pour parer aux grêles d’insultes dont le journal est régulièrement l’objet. Installé dans son fauteuil noir, en jean et chemise en denim, au troisième étage de l’hôtel particulier cossu qui héberge l’hebdo dans le XVIe arrondissement de Paris, il nous livre son plan de bataille pour en faire “le grand hebdo qui parle à toutes les droites”.
Première étape, donner plus de place à l’information : “J’ai envie d’aller vers plus d’enquêtes, plus d’exclus, pour que les gens qui lisent Valeurs actuelles ne le fassent pas en se disant : ‘Enfin un journal avec lequel je suis d’accord !’, mais pour y apprendre des choses.”
Pour s’en donner les moyens, une série d’embauches a eu lieu. Les nouvelles recrues sont jeunes, viennent de Causeur, Atlantico, Marianne, L’Express ou ont des profils originaux, comme Solange Bied-Charreton, écrivaine nommée rédactrice en chef adjointe du service société.
“On a gagné la bataille de la notoriété”
Valeurs actuelles fait-il ses adieux à la subversion néoréac ? Sourire en coin pendant qu’il vapote, une main négligemment enfouie dans ses cheveux, Lejeune nuance : “On a gagné la bataille de la notoriété en faisant des unes marquantes. On avait le sentiment d’être seuls à dire les choses, alors on les a un peu hurlées. Mais je n’ai pas envie de changer ça, c’est ce qui fait notre différence.” Un changement dans la continuité tout pompidolien, en somme.
Aussi ne faut-il pas s’attendre à un bouleversement de la ligne éditoriale de Valeurs actuelles à l’approche de la présidentielle. “Il considère que le terrain a longtemps été laissé libre aux Inrocks et à la gauche progressiste, ironise Saïd Mahrane, rédacteur en chef au Point, où Lejeune a fait ses premières armes. Il veut mettre au centre du débat public les questions identitaires, et il pense que la transgression est nécessaire.”
C’est sans doute l’une des raisons qui le poussent à revendiquer son “zemmourisme”. Lejeune se targue d’avoir été le premier à mettre Eric Zemmour en une d’un hebdo, en mai 2013 – cette couve orne son bureau. Sur le coup, Kerdrel est sceptique et parie que les ventes seront mauvaises. “Elles ont dépassé mon propre pronostic, à l’époque ça a été notre record”, se gausse Lejeune. Désormais, les livres du polémiste cartonnent en librairie, la Manif pour tous a libéré une parole de droite traditionaliste et la demande autoritaire s’est amplifiée depuis les attentats.
“Ils droitisent un lectorat qui se droitise” Gaël Brustier, politologue
Dans ce contexte, l’installation de Valeurs actuelles à l’épicentre des droites ne doit rien au hasard. “Geoffroy Lejeune arrive au bon moment, il y avait besoin de dépoussiérer l’image de droite versaillaise de ce journal et de secouer les colonnes du temple avec quelqu’un de sanguin et de son temps”, se réjouit Patrick Buisson. “Ils droitisent un lectorat qui se droitise”, résume le politologue Gaël Brustier.
Il y a quelques semaines, à la rédaction de l’hebdomadaire, Lejeune recevait Notre France de Raphaël Glucksmann, l’essayiste en guerre contre les réacs. La dédicace est pleine d’amertume : “Vous nous avez piqué l’hégémonie culturelle.”
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