Révélée par CQFD puis découverte sur un premier opus délicat, Pauline Croze revient. Et l’on reste coi face à la liberté de ton, l’audace folasse et la grâce de son nouvel album, Un bruit qui court. Vite et loin.
Tout au long d’Un bruit qui court, après un premier morceau où il est question d’un corps disloqué (Faux contacts), c’est un peu comme si Pauline n’avait plus d’écorce, n’était désormais qu’un fluide, une vapeur, un feu follet. Elle s’est entraînée à chanter sur des solos du saxophoniste Wayne Shorter pour apprendre à devenir une hors-la-loi de l’apesanteur, une vocaliste transgressive dont l’étrange swing blanc et toujours sous tension la distingue autant des chanteuses pop que des jazzeuses câlines pour bar d’hôtel. Elle se tire même très honorablement d’un exercice de voltige, façon Michel Legrand, qu’elle court-circuite avec des trombes de guitares (Sur ton front). Telle une aïeule qu’elle ne connaît pourtant pas (la grande et regrettée Lizzy Mercier Descloux), elle parvient à aspirer et expirer des musiques venues de loin – historiquement, géographiquement – en leur faisant visiter au passage son territoire intime, privilégiant l’assimilation prudente au tourisme musical tapageur. Après Edith Fambuena, qui a eu l’ingrat privilège de dégripper cette machine complexe sur le premier album, Pauline Croze est allée décrocher une autre étoile de la galaxie Bashung, à savoir Jean Lamoot et son habituelle garde rapprochée d’instrumentistes tout-terrain tels le guitariste frippien Jean-Louis Solans ou le bassiste aux mains d’argent Simon Edwards. Lamoot, qui pour avoir travaillé avec (entre autres) Salif Keita, sait très bien faire tenir dans l’espace réduit d’une chanson toute l’effusion et la puissance hypnotique propres aux musiques africaines. La clientèle de Pauline Croze sera sans doute un peu déroutée par des titres comme Un bruit qui court ou La Couleur de la mer, qui évoquent avec éloquence les Talking Heads de Remain in Light, lorsque David Byrne et Brian Eno parvinrent sans vulgarité colonisatrice à jumeler les villages africains au village global. Les amateurs de sons venus d’ailleurs s’amuseront à reconstituer toute une mappemonde d’instruments rarement usités dans la chanson française, des gamelans de Bali au marimbula caribéen, du guimbri nord-africain aux multiples guitares branchées sur voltage malien plutôt que parisien.
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Ceux qui ont de la mémoire entre les oreilles reconnaîtront enfin le sax pétulant et toujours alerte de Daniel Pabœuf, qui délura jadis d’autres blancs-becs illustres (Marquis De Sade, Daho). Malgré l’ambiance dilatée, souvent chaleureuse et collégiale, qui règne alentour, Pauline Croze n’a toutefois pas totalement abandonné la sécheresse qui fait la marque unique de sa plume. Et si au détour d’un morceau au titre manifeste (Nous voulons vivre) elle pose la question clé de l’album : “Comment stopper l’hémorragie de mots rageurs ?”, c’est l’esprit apaisé et la gorge plus aérée qu’elle affronte désormais ses démons, en observatrice plus volontiers qu’en actrice, plus joueuse de mots que victime complaisante de l’enfer du “je”. Elle veut d’un même élan libérateur poursuivre cette émancipation sur scène, où elle se crispait autrefois comme une palombe à l’ouverture de la chasse, et où elle promet de déployer bientôt des ailes et des aises inattendues.
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