Redécouverte par Tiktok, l’esthétique ultra-léchée du cinéaste texan est devenue une marque reconnaissable et détournée par des millions d’internautes. Alors qu’“Asteroid City” sort en salle le 21 juin 2023, retour sur les marottes esthétiques du plus modeux des réalisateurs.
Montage sur une musique signée Alexandre Desplat, successions de deadpans – soit une posture impassible qui cache les émotions – et atmosphère juvénile : les codes esthétiques des films de Wes Anderson deviennent les motifs des égo-trip fictionnels contemporains sur TikTok. Cumulant plus d’un milliard de vues, les utilisateur·ices de la plate-forme mettent en scène des moments de vie ordinaire, sur un mode esthétique méticuleux et ultra-poussé, à la manière du réalisateur texan.
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Si Anderson déplore “une simplification” de son travail, cet hommage 4.0 des réseaux succède à de nombreuses reprises esthétiques ayant eu cours durant la dernière décennie dans le monde de la mode. Manteau de fourrure et cheveux attachés avec une épaisse barrette : le starting pack de Margot Tenenbaum a marqué en 2015 le premier défilé d’Alessandro Michele chez Gucci, tandis qu’on retrouvait la même année un jogging rouge clin d’œil à Chas Tenenbaum chez Lacoste. Des mini robes sixties à col Peter Pan se sont glissées chez Miu Miu peu après la sortie de Moonrise Kingdom tandis qu’en 2014, Anna Sui dédiait une collection à The Grand Budapest Hotel à travers l’utilisation des coloris rose et violet caractérisant le film.
Frivolité et psychologie
Véritable inspiration mode, l’artisan de l’image Wes Anderson a imposé ses palettes de couleurs primaires saturées dans le monde de l’esthétique et du frivole, avec lequel il partage le sens de l’image et le soin du détail. Loin de représenter le quotidien, ses films documentent un ordinaire ou l’esthétique est centrale, poussée à l’extrême, sans occulter une dimension plus profonde – finalement le sens même de la mode ? “En poussant la frivolité à l’extrême, la mode est rejetée au trivial – pourtant, elle démasque avec subtilité la morale de l’époque”, écrivait la théoricienne Elizabeth Wilson dans son ouvrage pionnier Adorned In Dreams.
Ainsi dans le cinéma d’Anderson, le vêtement est partie prenante de la construction narrative. Pour faire son deuil, on abandonne des malles Louis Vuitton – spécialement pensées par Marc Jacobs – dans À bord du Darjeeling Limited. Le point de ralliement avec un monde adulte austère pour Margot Tenenbaum est symbolisé par un Birkin Hermès, emblème du quiet luxury, tandis qu’elle se fond dans son rôle d’éternelle femme-enfant en robe Lacoste. Dans La Vie aquatique, on fait famille en portant des Gazelle Adidas et un bonnet rouge à défaut de trouver sa place dans sa famille d’origine.
Des geeks chic en costumes de velours vert bouteille, blazers bleu marine et appareils dentaires de Rushmore aux robes enfantines et chaussettes hautes de lolita sixties de Suzy Bishop de Moonrise Kingdom, sans oublier les différents ensembles sportifs vintage des personnages masculins : Wes Anderson détourne les uniformes de l’enfance pour mieux dire les errances du monde adulte dans un simulacre cartoonesque.
Liaison entre deux industries
La sophistication de l’univers de Wes Anderson a été reconnue par le monde du cinéma : la costumière Milena Canonero a reçu un Oscar pour les vêtements extraordinaires de The Grand Budapest Hotel en 2015. Mais ce sont les liens entre industrie de la mode et du cinéma qui sont parfois questionné et reflètent les convergences contemporaines des industries de l’image, à l’heure ou Saint Laurent lance sa maison de production.
Tout comme Sofia Coppola qui signe les publicités de Miss Dior Chérie, le réalisateur est derrière le mini-film du parfum Candy de Prada en 2013. En retour, la maison italienne intello a financé son court métrage Castello Cavalcanti avec Jason Schwartzman. En 2015, le duo a consolidé son partenariat stratégique à la Fondazione Prada : Anderson a ainsi conçu le Bar Luce, un café qui permet de remonter le temps jusqu’au Milan des années soixante ou de se plonger dans l’un de ses films. À proximité, la Pasticceria Marchesi vend des gâteaux identiques à ceux de Mendl’s dans The Grand Budapest Hotel. Fort d’un univers créatif commun, le duo crée un imaginaire cohérent et témoigne des liens entre deux industries qu’il reste à observer.
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