Le Prix MAIF pour la sculpture se réinvente depuis 2020 en faveur de l’accompagnement d’artistes qui explorent les possibles nouvelles technologies. Cette année, le lauréat Arthur Hoffner propose un projet qu’il qualifie de “techno-magique“ : une fontaine contemplative, dont l’eau génère des bulles de savon brumeuses. Et une méditation audacieuse, de la part de l’artiste né en 1990, sur l’impermanence de l’existence. Rencontre.
Comment est née l’idée du projet Fragilités, présenté pour le Prix MAIF pour la sculpture, dont vous êtes lauréat de l’édition 2023 ? Est-ce pour vous la suite de vos recherches antérieures ou, au contraire, l’occasion de développer un nouveau pan de celles-ci ?
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Arthur Hoffner — Fragilités est le prolongement direct du travail que je mène depuis plusieurs années autour du thème de la fontaine. Il s’agit là encore de donner forme à un écoulement continu, impliquant une forte dimension contemplative liée à l’observation de fluides en mouvement. L’eau est cette fois-ci remplacée par des bulles de savon remplies de brume tombant sous la forme de gouttes qui explosent dans un nuage de vapeur. Le Prix MAIF est pour moi la formidable occasion d’écrire le prochain chapitre de cette recherche, de pouvoir développer de nouvelles typologies formelles, d’explorer de nouveaux matériaux et techniques !
Votre œuvre est une méditation sur le temps qui passe, manifesté comme une beauté éphémère. Ce thème est bien connu de la peinture dès le XVIe siècle, intervenant sous la forme d’un memento mori – par exemple, la célèbre toile Les Bulles de savon de Jean-Siméon Chardin de 1733. Quelle actualité donnez-vous à ce thème historique ?
La bulle est un objet fascinant : miraculeuse quoique condamnée, enfantine et dérisoire bien qu’infiniment complexe ; son insoutenable légèreté combine mystères mathématiques et fascinations esthétiques. Chardin l’avait compris, car s’il faut qualifier l’humanité, c’est bien de passagère. Et quoi de plus éphémère qu’une bulle, question mortalité ?
Mon projet repose en grande partie sur ce thème universel qui nous traverse toutes et tous comme il traverse l’histoire de l’art. J’ai cherché à augmenter la portée symbolique de la fugacité en remplissant la bulle de vapeur, ce qui me permet d’obtenir une double évanescence dont les matières sont des fantômes aux contours insaisissables. Cela les place en opposition directe avec la matérialité traditionnelle de la sculpture classique, figée dans le marbre ou le bronze. Fragilités, en louant les qualités hypnotiques de la formation de la bulle, est avant tout un hommage au périssable, à l’impermanence de toute chose.
Depuis 2020, le prix est orienté autour des nouvelles technologies : impression 3D ou 4D, intelligence artificielle… Or de votre côté, vous proposez une réflexion qui place la technologie au service de l’inutile, et cache précisément le dispositif qui sous-tend au fonctionnement de l’œuvre. Pourquoi ?
Dans un monde où la technologie est assujettie à la fonctionnalité, où la technique rime avec performance et rentabilité, je propose de l’asservir ici au spectacle de l’inutile. De remplacer le productif par le dérisoire sur son piédestal. Si la formation de bulles peut sembler anecdotique, c’est surtout proclamer la nécessité du gratuit et de l’inutile : mettre la machine au service de la poésie pour réaffirmer le plaisir essentiel du futile.
La technologie est bien au cœur du projet puisque ce sont des procédés relativement complexes qui en assurent le fonctionnement : brumisateur à ultrasons, pompes péristaltiques, micro-ventilateurs étanches, etc. J’ai en revanche pris le parti d’estomper au maximum cet aspect. À mes yeux, la technique est en effet un outil qui devrait s’effacer au profit du récit. En camouflant le système, le dispositif prend des allures techno-magiques, comme une invitation à la contemplation, débarrassé de la question du ‘comment’ pour se focaliser sur le ‘parce que’. Cette intrication entre illusion et technologie est également une manière de rendre complice l’audience, en suscitant la connivence d’un tour de magie.
À présent, vous allez vous lancer dans le développement d’une sculpture en deux exemplaires. Quelles seront, pour vous, les prochaines étapes de sa conception ?
J’ai plusieurs défis à relever ! Affiner la technique pour la rendre fiable et efficace, ce qui va me permettre de guider le dessin de l’objet et m’orienter vers un choix de matériaux. La formalisation de l’objet est encore au stade embryonnaire et va demander de nombreux allers et retours entre maquettes, dessins, 3D, prototype… Je suis très heureux de me confronter à ces étapes qui, je l’espère, seront nourries de rencontres et de partenaires professionnel·les.
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