La série d’anthologie de Netflix revient avec une sixième saison qui essouffle son concept quand elle ne tente pas de se réinventer maladroitement.
Qu’est-ce que Black Mirror a encore à nous raconter en 2023 ? A priori, la série d’anthologie de Charlie Brooker, qui interroge depuis 2011 notre rapport à la technologie à l’aune de dystopies plus ou moins affolantes, devrait trouver dans notre réalité toute contemporaine matière à fiction ; confirmant l’adage, aujourd’hui tourné en dérision, selon lequel “nous vivons dans un épisode de Black Mirror”.
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Devenue sur les réseaux sociaux un sarcasme rigolard, visant à moquer gentiment le·la spectateur·ice moyen·ne qui verrait dans notre monde hyperconnecté le reflet de celui de Black Mirror (et non l’inverse), la locution n’est néanmoins pas totalement galvaudée, surtout à l’heure de la démocratisation des intelligences artificielles à destination du grand public (ChatGPT, Midjourney, DALL-E…), et au lendemain de l’annonce d’un casque de réalité augmentée estampillé Apple, comme échappé d’un épisode de la série.
Savoir se réinventer
Rattrapé par une réalité qu’elle a, sinon prédit, du moins en partie pronostiqué, Black Mirror tente de se réinventer dans une curieuse saison 6, à la fois fidèle à son ADN et en quête d’un second souffle. Les deux premiers épisodes de cette nouvelle cuvée (qui en compte cinq) imaginent, non sans quelques œillades méta un poil fatigantes, un pendant fictif à Netflix nommé Streamberry, plateforme de streaming tentaculaire qui gouverne les habitudes de consommation de ses millions d’utilisateur·ices.
Dans le premier, la jeune CEO d’une entreprise de tech californienne découvre, horrifiée, qu’une nouvelle série de Streamberry rejoue à l’identique sa vie, au détail près qu’elle est incarnée par Salma Hayek. Intelligences artificielles pernicieuses, collecte de données invisibles, deepfakes indécelables : la résolution de l’épisode, dans la plus pure tradition de la série, empile ses sujets fétiches façon poupées russes, sans néanmoins parvenir à atteindre le vertige qu’elle savait autrefois inoculer.
Dans le second, un couple d’apprentis documentaristes se met en tête de réaliser une série true crime sur un fait divers sordide survenu des années plus tôt dans un coin paumé d’Écosse – et Black Mirror d’interroger le rapport trouble, voire abject, qu’entretiennent ces programmes à succès, stars des plateformes de streaming, avec la réalité.
Pour le meilleur et pour le pire
Passé ces deux épisodes vaguement provocateurs, qui égratignent pudiquement Netflix tout en le caressant dans le sens du poil, la série nous assomme d’un quasi-film de 1 h 20 (featuring Josh Hartnett et Aaron Paul), pas inintéressant conceptuellement – avec son histoire d’astronautes en mission spatiale, dont un double androïde d’eux-mêmes et laissé sur Terre pour rester avec leur famille – mais qui s’embourbe dans un final inutilement trash (marque de fabrique du mauvais Brooker), avec deux féminicides franchement dispensables.
Plus curieux, les deux derniers épisodes, dont on taira la teneur exacte, semblent abandonner le concept même de la série – ou le rendre si ténu qu’il en devient inintelligible – en lorgnant vers le fantastique pur, délaissant la dystopie technologique pour une version modernisée de La Quatrième Dimension, le charme désuet en moins. Résultat : une impression de déjà-vu, et un sentiment de hors-sujet.
Si Black Mirror a toujours soufflé le chaud et le froid, alternant le meilleur (San Junipero) et le pire (Crocodile), cette sixième saison entérine le déclin d’une série conjointement prisonnière de son concept, et maladroite dans sa quête de réinvention.
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