Leo et Vickie imposent leur style avec « Carrément Carrément », un premier album qui se balade sans complexes entre Booba, La Femme et Michel Berger (oui oui). Rencontre avec deux champions de la punchline et de la chanson romantique.
« J’ai une putain d’envie de toi / Je sais ce qu’ils veulent / Et je joue le jeu / J’ai une putain de carrière devant moi. » Quand on rencontre Vickie et Leo sur les hauteurs de Paris, au niveau du Belvédère de Belleville, les textes de leur premier album résonnent et se superposent à la discussion. Ils parlent comme ils chantent : normalement, comme des gens de leur âge. A 22 et 23 ans, ils ont dépassé les vieux clivages entre rap, rock et chanson au profit d’une écriture débarrassée de tout lyrisme, de toute posture, de tout premier degré.
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Un mood plus complexe qu’il n’en a l’air
En toute détente, ils naviguent entre ego trip et chansons d’amour avec un sens aiguisé du lol, de la vanne, de la punchline, cultivant au passage un petit côté normcore qui leur évite de prendre parti pour quoi que ce soit. Issus de la génération La Femme, décomplexés des influences et du chant en français, ils aiment Booba autant que Michel Berger, la pop 80’s autant que l’auto-tune, et ça se voit.
Dans le morceau Signaux, Leo et Vickie chantent en choeur :
« Ce soir encore les Pirouettes vont assurer / Un show démentiel / Des cris et et tubes à la pelle / La foule en adéquation / Connait par coeur toutes les chansons / Leo et Vickie, sur scène comme dans la vie / Collision des énergies pour concentré de bon esprit »
Qui fait ça dans une chanson pop ? A priori, personne. Mais les Pirouettes sont dans un mood plus complexe qu’il n’en a l’air, avec des nuances bizarres, barrées, sombres, que beaucoup ne capteront même pas. Le piège avec Leo et Vickie, c’est de voir leurs chansons comme de simples bluettes pour ados mollassons, alors que la réalité est ailleurs : derrière une image de groupe gentillet, The Pirouettes est un des projets les plus perchés en France actuellement.
Le mini-faux-docu ci-dessus, tourné à Los Angeles et publié cet été, n’est qu’un exemple du genre de trips que peuvent se taper les Pirouettes. Bienvenue à zinzin land.
5 ans de progrès
« Et j’ai compris / Qu’il n’y avait rien à comprendre dans cette vie / Ni tout seul ni tous ensemble / Mais je respecte que tu te poses toutes ces questions / Et je te souhaite de trouver tes propres raisons »
The Pirouettes, c’est l’histoire de Léo qui écrit une chanson pour Victoria, dont il est amoureux. Ça se passe en 2011 dans un lycée d’Annecy, et bientôt ladite chanson se retrouve postée sur Youtube (alerte bébés chats). Les deux ados deviennent Vickie Chérie et Leo Bear Creek, et les Pirouettes s’apprêtent à conquérir Paris. En parallèle, Leo joue dans le groupe Coming Soon et Vickie se prépare à entrer aux Arts Déco, où elle étudiera la photo et la vidéo (depuis, elle signe elle-même certains clips des Pirouettes).
Deux Ep plus tard et après beaucoup de progrès, les deux amoureux sont devenus grands : leur premier album, co-produit par Jérémy Rassat de Caspian Pool, mixé par Alf et génialement titré Carrément Carrément, est une petite bombasse qu’ils débriefent avec nous autour d’un Coca. Depuis Belleville, Paris se la raconte au loin, jusqu’à l’horizon, et les paroles des Pirouettes continuent de se superposer à la discussion. « J’ai des images en tête / Je te vois / Je nous vois / Plus rien ne nous arrête / Où on veut, on y va » : ils le disent eux-mêmes et on veut bien les croire.
Il y a un mot qui revient souvent pour parler des Pirouettes, c’est « mignon ». Ça vous saoule ?
Vickie – Un peu…
Léo – Un peu, ouais. J’ai l’impression qu’on fait un truc un peu plus profond aujourd’hui, et que nos chansons sont moins superficielles qu’elles peuvent en avoir l’air. On nous colle beaucoup l’image pop mais je pense qu’on a un côté vraiment décalé, un peu chelou. Mais il faut prendre le temps d’écouter pour s’en rendre compte.
C’est quoi alors, de la fausse naïveté ?
Léo – Quand on écrit une chanson d’amour, c’est très sincère. C’est pas juste pour surfer sur la vague du couple parce qu’on se rend compte que ça fonctionne auprès des gens. C’est toujours les paroles qu’on a envie d’écrire à un instant T. Et ce n’est pas une façade : dans la vie, on s’aime vraiment.
Votre album peut s’écouter comme un album de rap. Il y a de l’ego trip, des punchlines, une écriture très directe.
Vickie – Ça se voit surtout sur des morceaux comme Signaux, qui est effectivement très rap/ego trip. Mais je pense que c’est venu de façon assez inconsciente.
Léo – On écoute beaucoup de rap, en fait, même si c’était moins le cas avant. On a cette culture de la punchline, des phrases qui restent en tête, des mélodies un peu catchy. Le rap, c’est un peu la pop d’aujourd’hui.
Vickie – La variété, même…
Léo – La période de composition de l’album a beaucoup baigné là-dedans. Mais ça nous aurait saoulé qu’il y ait trop d’ego trip ou de vocodeur dans l’album.
Vickie – On nous prend déjà assez pour des petits cons !
Léo – Le rap, j’en écoute un peu moins maintenant, c’est par phases. Mais on a une écoute du rap un peu chelou. On écoute surtout du français. Booba à mort. Et des trucs plus indé, genre Butter Bullets, Alkpote, Hamza. C’est Kevin (Kevin Elamrani-Lince, clippeur de talent à suivre de près – ndlr) qui nous a ouvert à ça.
Ça a commencé comment avec Kevin ?
Vickie – Il nous a envoyé un mail, tout simplement.
Léo – Il nous a découvert via le site La Trempe, qui parlait beaucoup de rap, mais pas que.
Vickie – Ouais, ça a fermé depuis…
Léo – Et à ce moment, on avait vraiment besoin d’un clip. Du coup on s’est rencontrés et c’était super. On est sortis charmés du rendez-vous.
Vickie – « Charmés ». (rire)
Léo – Les clips de Kevin ont un côté très universel, ils peuvent plaire à plein de gens différents. Avec peu de budget, il arrive à faire des choses qui peuvent être vues sous différents angles. On peut y voir un truc très internet, très 2.0, et puis un truc très mainstream aussi.
Vickie – Il fait de la vidéo touchante. Je pense que ce sont des clips qui vieilliront bien, en plus.
Vous vous mettez en scène dans vos clips. Sur la pochette de l’album aussi, d’ailleurs. Ce qui n’est pas une évidence pour un groupe pop.
Vickie – La pochette est justement tirée d’un clip de Kevin, celui de Dans le vent d’été. Après je brode autour, je redessine, j’intègre des photos. L’idée est d’avoir un portrait qui ne soit pas trop classique, plus arty, un peu science-fiction, très futur.
Léo – On aime bien se starifier un peu. On a toujours eu la volonté de se mettre en scène. C’est comme ça qu’on aime les groupes. Ça permet de vraiment accrocher. Encore un truc qui nous rapproche du rap.
Vickie – Ou de la variété !
Vous avez effectivement un côté très variet, aussi.
Vickie – On s’en cache pas, c’est cool ! On aime vraiment bien la variété.
Léo – Mais pas la variété d’aujourd’hui.
Vickie – On a quelques plaisirs coupables, quand même…
Léo – Oui, quelques-uns…
Vickie – Mais c’est vrai qu’on écoute surtout de la variété des années 80/90.
Léo – Michel Berger, c’est vraiment un dieu pour nous. Même plus que Jacno. Vraiment. Pendant longtemps, on écoutait surtout des trucs anglo-saxons chacun de notre coté. C’est en se rencontrant qu’on s’est mis au français. C’est là qu’on a découvert Michel Berger, Elli et Jacno, mais aussi Christophe, Yves Simon. C’est ça qui est vraiment à la base des Pirouettes.
Certaines chansons des Pirouettes ont un côté « classique instantané », comme un vieux tube qui redébarquerait du passé. 2016 (en ce temps-là) par exemple.
Léo – C’est un truc auquel je pense souvent. J’ai vraiment hâte d’écouter les Pirouettes dans 20 ans, quand on sera un peu vieux, et qu’on réécoutera, avec le recul, ce qu’on faisait quand on était jeunes. J’espère à tout prix que ce sera un peu mythique, comme quand on écoute des morceaux d’Elli et Jacno aujourd’hui. J’aime bien l’idée qu’une musique soit vraiment ancrée dans une époque.
Vickie – Mais pour autant, on ne se projette pas trop concrètement.
Ce côté variet dans la pop, on le voit pas mal chez d’autres jeunes musiciens français en ce moment. Paradis, Lafayette et Cléa Vincent, par exemple.
Léo – Mais c’est de la variété très indé. Pas Vianney, quoi.
Vickie – Oui, il y a un truc très universel.
Léo – Et ce qui est cool, c’est qu’on a tous nos particularités. Même si on peut les associer, entre Paradis et Cléa, il y a de grosses différences.
En général ça énerve les musiciens quand on leur parle de « nouvelle scène française » pour parler de tous les jeunes groupes, aussi différents soient-ils, qui en gros sont apparus depuis La Femme et ont découvert la musique sur internet. Et vous, ça vous énerve ?
Léo – Je suis d’accord que La Femme a ouvert un nouveau truc. Ils ont un peu décomplexé le fait de chanter en français. Quand La Planche est sorti, ça a été une grosse influence… Pour nous c’est pratique tous ces groupes, ça nous permet d’avoir des papiers groupés dans la presse !
Vickie – Technique !
Léo – Je ne sais pas si on parlerait autant de nous si on était tous seuls. Et puis ce ne sont que des groupes avec qui on est potes. On se croise régulièrement en soirées, on fait des concerts ensemble, et pour certains on habite carrément dans le même quartier, à Oberkampf. Notre studio de répète est là-bas, juste en bas de chez nous. On partage ce studio avec Las Aves. D’ailleurs Jules, le bassiste de Las Aves, joue avec nous sur scène.
La scène, c’est un truc avec lequel vous êtes à l’aise ?
Vickie – Pour le coup, c’est vraiment venu petit à petit. On était hyper mauvais à la base ! On se sent de mieux en mieux mais c’est encore un petit complexe.
Léo – On a un peu cette réputation de groupe fragile en live. Les concerts, on les fait par nécessité, entre guillemets. Il faut évidemment défendre son projet sur scène, mais ce n’est pas ce qu’on préfère.
Vickie – C’est pas non plus la corvée, on aime bien être sur scène ! Mais c’est souvent extrême : soit c’est hyper cool, soit c’est hyper déprimant. Ça dépend beaucoup du public.
Vous avez l’impression d’avoir un public bien à vous ?
Léo – C’est vrai que quand on joue à Paris, c’est toujours plein. La Maroquinerie qu’on fait en octobre, c’est déjà complet. Mais ça commence à prendre dans d’autres villes, on sent qu’il y a du répondant, ça fait plaisir. Pour l’instant ce sont surtout des gens de notre âge, et ça nous va. On espère que les festivals viendront pour l’été prochain. Les trucs un peu fat qu’on a déjà fait, c’est par exemple la soirée « Tombés pour la France » organisée par Daho Salle Pleyel, ou encore une première partie de Fauve. Niveau public, je pense que ça nous a rapporté plein de gens.
Vous espérez quoi pour la suite ?
Léo – On espère que l’album va cartonner, que plein de gens vont nous découvrir et qu’on va faire plein de concerts ! Et surtout on espère voyager, c’est ce qui nous fait le plus kiffer. Partir à deux pour la musique, c’est trop bien. Ça motive grave.
propos recueillis par M. de A.
Album Carrément Carrément (Kidderminster) sortie le 16 septembre
Concert le 5 octobre à Paris (Maroquinerie, complet), le 6 à Feyzin puis retour le 5 janvier à Paris (toujours à la Maroquinerie)
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