L’écrivain de “Méridien de sang” et “La Route” est mort mardi 13 juin à l’âge de 89 ans.
Cormac McCarthy venait de publier deux romans en forme de diptyque, Le Passager et Stella Maris (éditions de l’Olivier) autour d’un frère et d’une sœur qui s’aiment, hantés par la contribution de leur physicien de père à l’invention de la bombe nucléaire. Des romans en forme de testaments désenchantés, peut-on dire aujourd’hui, d’un écrivain américain obsédé par les mythes de l’Amérique. Dans ses deux derniers livres, les figures déterminantes de l’histoire américaine, ses icônes – tout comme les mathématiques, les sciences physiques – constituent des prismes pour comprendre le monde, mais aussi le détruire.
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La destruction, la mort, le désir de donner la mort, gratuit, sauvage, auront été au centre de ses préoccupations romanesques. La version de l’Amérique qu’il a véhiculée dans ses romans est celle d’une machine de mort, aveugle, cynique, sur l’autel de laquelle des vies doivent être sacrifiées. McCarthy aura revisité le mythe américain de la frontière avec la Trilogie des confins (The Border) dans les années 1990 – All the Pretty Horses, The Crossing et Cities of the Plain –, et entre autres grands mythes historiques et culturels le western, le Sud des États-Unis, mais à sa façon.
Détourner les genres
Né en 1933 à Providence, Rhode Island, Cormac McCarthy a commencé à écrire en 1965 avec Le Gardien du verger, vite suivi par L’Obscurité du dehors (1968), Un enfant de Dieu (1973) et Suttree (1979) – une série de quatre romans situés dans les Appalaches, encore sous influence faulknérienne. Si c’est en 1992 que l’écrivain rencontre le succès avec De si jolis chevaux (auréolé de deux prix : le National Book Award et le National Book Critic Circle Award), c’est avec son chef-d’œuvre, Méridien de sang (1985), qu’il affirme son style unique en passant du genre “gothique du Sud” au western.
Avec Méridien de sang, McCarthy se réapproprie ce genre populaire typiquement américain mais à sa façon : en l’étirant jusqu’à le rendre irréel, métaphorique, spirituel. Des hordes traversant les États-Unis en tuant, un protagoniste géant et albinos, en quête de quoi ? Nombreux ont comparé le roman à Moby Dick de Melville, et ce héros terrifiant au capitaine Achab, hanté par sa quête métaphysique.
C’est d’ailleurs ce qui fait la marque de fabrique du style McCarthy : détourner les genres – western, thriller, dystopie – pour y insuffler de la métaphysique, en faire des fables sur l’âme humaine aveuglée par l’obsession, assoiffée de sang, de destruction et d’autodestruction. Le thriller No Country for Old Men (2005) a pour personnage principal un tueur à gages agissant à la manière d’une machine froide impossible à stopper. Publié l’année suivante, La Route (Prix Pulitzer), son plus immense succès, met en scène un père et son fils tentant de survivre dans une humanité post-apocalyptique.
Cormac McCarthy refusait d’apparaître en public. Il fait partie de ces écrivains américains qu’on disait “reclus”. Il le fut cependant beaucoup moins qu’un Salinger ou qu’un Pynchon, se livrant occasionnellement à l’exercice de l’entretien dans la presse. Certains furent très déçus de le voir même accorder une interview à la reine du pathos télévisé Oprah Winfrey, en 2007. Nombre de ses romans ont été adaptés au cinéma. Cormac McCarthy est décédé alors qu’il écrivait le scénario de Méridien de sang pour le malheureusement pas très bon John Hillcoat, qui avait déjà adapté La Route en 2009 avec Viggo Mortensen. Les plus importants romans de Cormac McCarthy sont publiés en France aux éditions de l’Olivier.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 15 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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