Dans le très réaliste et poignant “Sages-femmes”, la réalisatrice Léa Fehner suit le parcours de Sophia et Louise, tout juste sorties de l’école, qui exercent pour la première fois au sein du service maternité d’un hôpital. Le film, disponible en replay sur le site d’Arte jusqu’au 10 août, sortira au cinéma à la fin de l’été.
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C’est peut-être parce que l’entrée dans la parentalité a été un point de bascule dans la vie de Léa Fehner que cette dernière s’est intéressée à la profession de sage-femme. À moins que ce ne soit ce stage de troisième effectué dans une maternité ou l’existence de sa marraine, sage-femme depuis plus de 30 ans. La réalisatrice toulousaine ne saurait dire précisément ce qui l’a poussée à mettre ce métier “au rôle central dans la vie et la santé des femmes” au cœur de son nouveau film, Sages-femmes, disponible en replay sur le site d’Arte jusqu’au 10 août.
Ce qu’elle sait, c’est qu’elle est fascinée par ces femmes qui en accompagnent d’autres “dans ce moment de passage qu’est une naissance” et “font abstraction de tout pendant cet instant brûlant, vous aident à le traverser et incarnent une quintessence du don de soi”. Durant ses immersions dans une maternité en amont du tournage, Léa Fehner les a observées de près, est même devenue proche de certaines d’entre elles et elle a voulu porter leur voix dans ce film bouleversant de réalisme -et pour cause, certaines images d’accouchement ont été filmées au CHU de Toulouse.
On y suit les premiers pas de deux jeunes sages-femmes, Sophia et Louise, plongées d’un coup sec dans le quotidien tourbillonnant d’une maternité de niveau 3 au sein d’un hôpital. “De toute façon ici, la moyenne d’âge c’est genre 26 ans, après 30 ans dans le métier, t’es dead”, lâche-t-on à l’une d’entre elles à peine sa blouse blanche enfilée. Le ton est donné. Un personnel à bout, épuisé et parfois maltraitant, un matériel fréquemment en panne et des nuits de garde souvent chaotiques: Léa Fehner filme des femmes à bout de souffle, tentant tant bien que mal de bien faire leur métier dans des conditions de travail de plus en plus dégradées. La réalisatrice porte avec Sages-femmes la colère sourde de toute une profession qui ne cesse aujourd’hui de tirer la sonnette d’alarme sans pour autant être entendue. Entretien.
Comment ce film est-il né?
C’est un sujet dont j’avais envie de parler depuis longtemps. À l’époque de mes deux grossesses et de mes deux accouchements, j’avais été impressionnée par les sages-femmes qui s’étaient occupées de moi, elles étaient si jeunes et pourtant déjà si matures et je me demandais ce qui les poussait à faire ce métier-là, aussi passionnant qu’invisibilisé, qui est à cheval entre des questionnements médicaux, féministes et psychiques. Elles accompagnent une étape centrale dans la vie de chacun·e. et c’est quelque chose de passionnant dont j’avais envie de me saisir.
En amont du tournage, vous avez passé du temps au sein d’une maternité…
Oui, j’ai fait une immersion dans des hôpitaux toulousains, principalement le CHU de Toulouse, l’hôpital Purpan et ma co-scénariste, elle, a passé du temps à la maternité des Diaconesses à Paris. J’ai fait plusieurs jours de garde par semaine pendant trois mois et je suis d’ailleurs devenue très proche de certaines sages-femmes. On a réalisé le même travail avec les comédien·nes qui ont également fait un boulot de recherche et d’immersion. Certain·es ont par exemple assisté à des réanimations, d’autres à la naissance de triplés et l’un d’entre eux a accompagné un couple touché par une mort in utero. L’écriture du film s’est faite de façon atypique: on a notamment organisé un atelier d’écriture collaborative en mêlant les comédien·nes qui improvisaient des scènes en fonction de leurs expériences immersives et les sages-femmes qui, ensuite, donnaient leur avis et partageaient leurs propres vécus.
Vous avez intégré à votre film de véritables scènes d’accouchement, pourquoi cette volonté de réalisme?
Lorsqu’on a assisté à des accouchements durant nos immersions, on s’est dit que c’était si beau et si singulier que cette réalité documentaire se devait d’être présente dans le film. Ces moments sont incroyables par leurs côtés sauvage, archaïque, étrange et magique. Pendant les immersions, on a demandé à certains couples s’ils étaient d’accord pour qu’on les filme et on a aussi lancé un appel sur Internet pour trouver des volontaires. En tout, on a filmé une quinzaine d’accouchements et cinq d’entre eux sont restés dans le film. Ensuite, les parents sont revenus sur le tournage pour tourner certaines scènes pour que la fiction colle parfaitement aux images documentaires.
La façon dont on représente les accouchements à l’écran est-elle selon vous incomplète ou problématique?
Oui, je la trouve très incomplète et souvent très stéréotypée. Elle enferme dans des récits qui sont loin de ce que les gens vivent en réalité. Comme si l’accouchement était toujours quelque chose de bref, de propre et de beau. On a en tête des images qui font fi de l’effort, de la fatigue et des fluides. Ce qui est rarement montré, c’est que l’accouchement est un endroit d’empouvoirement où il y a une forme de puissance féminine très singulière qui s’exerce. C’était important pour moi de montrer ce moment au plus près de sa forme réelle.
Dans le film, on voit une sage-femme crier sur une patiente en train d’accoucher car elle est sous pression, c’était important pour vous de montrer comment ces professionnelles sont parfois contraintes de maltraiter les femmes qui accouchent faute de moyens et d’effectifs?
Oui, c’était au centre de mon film car cette facette du métier est très vite arrivée dans les récits des sages-femmes qui nous accompagnaient. Elles nous ont parlé de l’amour et de la passion qu’elles avaient pour ce métier mais aussi de leur détresse face à leurs conditions d’exercice. Elles sont elles-mêmes maltraitées par le système et maltraitent parfois contre leur gré leurs patientes. La sage-femme Anna Roy avait d’ailleurs lancé un hashtag en novembre 2020, #JeSuisMaltraitante, qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Le manque de moyens et de personnel fait que les sages-femmes sont très vite sous pression. Elles commencent souvent leur carrière très jeunes et débutent dans des services d’urgence avec très peu d’aîné·es pour les superviser et très peu de temps d’adaptation. Elles font parfois face à des tragédies et ont très peu de temps pour les digérer, ce qui peut générer ensuite des situations de stress. De plus en plus de sages-femmes sont tiraillées entre leur désir de faire ce métier et leur corps qui dit stop. Beaucoup d’entre elles partent d’ailleurs exercer en libéral.
Il y a une pénurie de sages-femmes en France, non pas faute de recrutement mais parce que de moins en moins de sages-femmes postulent, assiste-t-on à une crise de vocation?
Je crois que oui, le métier de sage-femme est un métier à hautes responsabilités et pourtant si peu valorisé. Les conditions d’exercice sont de plus en plus difficiles et on assiste à une crise de vocation à l’entrée des écoles de sages-femmes mais aussi à la sortie où la majorité se dirige vers le libéral. Le cercle vicieux s’est emballé. On a tellement renâclé à embaucher pendant des années qu’on a dégoûté les sages-femmes d’exercer et maintenant, on se retrouve à chercher à embaucher à tout prix.
Vous montrez une maternité au bord de la cassure dans laquelle les sages-femmes dénoncent sans cesse leurs conditions de travail sans que ce ne soit suivi d’un quelconque effet, votre volonté était-elle de faire un film politique?
Oui, une maternité publique est un trésor d’humanité et quand on se rend compte de l’état de crise et de fragilité dans laquelle elle est actuellement, on ne peut qu’être en colère. À travers ce film, je voulais porter le cri d’alarme lancé par les sages-femmes. Je souhaitais aussi toucher du doigt la réalité émotionnelle à laquelle les jeunes soignant·es sont confronté·es. Je me suis toujours demandé comment il·elles faisaient pour réceptionner toutes les peurs de leurs patient·es, traverser les drames inhérents à leur profession et continuer à exercer sans être blasé·es tout en se préservant. Comment apprivoise-t-on cette place, comment avoir de l’empathie sans trop s’abîmer, comment se tenir à distance sans faire preuve de froideur? Ce sont des questionnements plus globaux autour du soin qui m’ont toujours habitée et que j’ai voulu aussi mettre en lumière dans mon film.
Sages-femmes, de Léa Fehner, disponible en replay sur le site d’Arte jusqu’au 10 août et en salles le mercredi 30 août.
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