Fameux pour leur vacarme dantesque associant les éruptions de Mogwai à une electro furieuse, les Anglais Fuck Buttons reviennent avec un nouvel album : après les fusées lancées vers l’infini, place à l’exploration tordue des intimités. Passionnant, inquiétant et beau.
Ça se passe l’année dernière, lors du Pitchfork Music Festival, dans la Grande Halle de la Villette. Sur scène, perdus dans un délire lumineux à hypnotiser un cadavre, deux garçons tripotent leurs machines. Dans la salle, la foule est abasourdie, KO debout, molestée par ce qu’elle reçoit : précisément ce qu’elle attendait de Fuck Buttons. Les plus malins ont prévu le coup : leurs précieuses oreilles sont protégées par de sacro-saints bouchons. Les autres, imbéciles et téméraires, grimacent quelques secondes avant de se planter un doigt dans chaque oreille. L’espace a beau être immense, le son des Bristoliens Andrew Hung et Benjamin John Power fait plus que le remplir : il propose un décollage immédiat à tous ceux qui rêvent, emportés par les déflagrations de ces fusées.
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Fuck Buttons n’est alors déjà plus inconnu. Son album précédent, Tarot Sport, et quelques-uns de ses morceaux immenses (Surf Solar, The Lisbon Maru, Olympians…) ont installé le groupe dans la cour des passionnants ; deux garçons confrontant l’électricité magmatique de leurs potes Mogwai à une électronique frappadingue, dans un vacarme à mettre à genoux, de bonheur, les amateurs d’acouphènes. L’un des fans du groupe a probablement accéléré la conquête des masses : en 2012, Danny Boyle, responsable de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, a ainsi choisi les deux de Bristol – notamment – pour muscler l’événement, au risque d’inventer le dopage par décibels.
2013 : le groupe a donc désormais beaucoup d’admirateurs. Fidèles mais un brin impatients : si, éternel disque d’avenir, il n’a pas pris une ride, Tarot Sport est paru en 2009. Quatre ans, c’est long. Mais pas pour un groupe qui fait les choses quand il le veut, à sa manière. “Le public a peut-être eu l’impression d’un certain calme, mais derrière les portes closes, nous étions très occupés à écrire et enregistrer Slow Focus. Nous avons dépensé un peu d’argent pour disposer de notre propre endroit, ce qui laisse plus de latitude sur un plan temporel.”
Andrew Hung et Benjamin John Power ont donc pris leur temps et profiter de la liberté qu’induit l’absence d’un producteur – le mythique Andy Weatherall était aux manettes de Tarot Sport. Sans pression, le duo a effectué ses recherches soniques, cherché sa direction, écrit des ébauches de morceaux. La page était vierge : plutôt que de tomber dans la facilité d’écrire une suite à Tarot Sport, Fuck Buttons part dans la direction dictée par ses humeurs, ses envies, ses fantasmes, ses visions. Et ce ne sera pas cette fois les immensités de l’outre-espace mais celles de l’intime.
“Les choses prennent forme au fur et à mesure. A la place du sentiment de projection que les albums précédents offraient, nous avons exploré l’insularité, l’intimité. Nous n’aimons pas l’idée d’imposer une métaphore visuelle à ceux qui écoutent nos disques, mais nous en discutons toujours entre nous, a posteriori. Pour Slow Focus s’est imposée l’impression qui vient après avoir été longtemps endormi, ou avoir été mis sous sédatifs lourds. Au réveil, tes yeux doivent se réajuster à la lumière. Mais dans ce cas particulier, ils découvrent un espace inconnu, totalement étranger.”
Lier l’exploration de soi et l’étranger, sacré pari. Réussi : Slow Focus est la bande-son angoissée de l’examen d’un endroit que l’on pense familier mais qui relève souvent du mystère absolu, celui des méandres de son cerveau, ses frayeurs, ses contradictions, ses envies d’amour et de violence. Musicalement, le changement est tout aussi radical. Quand Tarot Sport invitait, par ses vrombissements et mélodies, ses auditeurs à quitter le plancher des vaches pour aller visiter, au loin, celui des petits hommes verts, le tordu Slow Focus est un disque aux espaces confinés, claustrophobes, dédaléens.
En écoutant, au casque de préférence, ces morceaux complexes, longs, à la production incroyablement riche, où les mélodies se font sombres ou menaçantes, on pense souvent aux concassages électroniques de Plaid, à un Aphex Twin moins inabordable. Si Brainfreeze, morceau cinglé et brutal, ouvre l’album sur une déflagration formidable à donner envie de démolir la Terre à mains nues, la suite oscille, varie, fait moins de bruit mais file une sacrée frousse, spectacle fascinant de l’ordre et du chaos en lutte permanente dans une psyché troublée. Chacun trouvera ici ses propres visions : il n’est aucunement garanti qu’elles soient rassurantes.
Concert : le 15 août à Saint-Malo (Route du rock)
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