Après près de deux ans de fermeture pour cause de travaux, le centre d’art contemporain de Bourges, le Transpalette, se relance énergiquement avec une exposition, “Entropia”, et des projets riches pour l’année à venir, centrés sur les questions post-identitaires.
A Bourges, le palais Jacques Cœur et la cathédrale Saint-Etienne n’ont que le Printemps pouvant rivaliser entre eux en termes de notoriété. Il n’y a pourtant pas que des édifices gothiques et des festivals de chansons qui animent la capitale du Berry : des artistes y travaillent et y exposent dans un centre d’art non loin du centre de la ville, le Transpalette. Au cœur de la France, cet antre amical d’une certaine pratique de l’art contemporain, historiquement liée à une scène musicale post-punk et à un activisme queer, vient de rouvrir après dix-huit mois de travaux (d’autres travaux sont en cours, afin d’ouvrir, à côté des salles d’exposition, des studios de répétition, une salle pédagogique et un centre d’archives).
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La friche culturelle, l’Antre-peaux (pilotée depuis 1998 par l’association Emmetrop) qui abrite le Transpalette, avait besoin d’une rénovation, afin de « redéployer une politique engagée et novatrice questionnant l’identité contemporaine et l’état de notre monde », selon les mots d’Erik Noulette, en charge de la “veille générale” de la friche. Ancien élève de l’école des beaux-arts de Bourges au début des années 1980, ce dernier créa l’association dès 1984 pour organiser des concerts, comme les Bérurier Noir et d’autres groupes punk (les Washington Dead Cats ou Ausweiss).
Agitateur de consciences
Aujourd’hui, après tant d’années d’activisme en faveur d’un lieu ouvert aux pratiques artistiques “intersectionnelles” – performances, musiques, danse, créations sonores, arts plastiques… –, il ne cache pas sa joie d’accueillir, dans le bâtiment rénové du Transpalette, des travaux d’artistes en phase avec le projet d’un centre qui se veut un “agitateur de consciences, carrefour de pratiques hétérogènes, explorateur des arts émergents, défricheur de nouveaux champs de réflexion”. L’équipe d’Erik Noulette tient, à travers la programmation du Transpalette, de « mettre en critique le récit officiel de l’histoire de l’art contemporain ».
Directeur artistique du Transpalette, Damien Sausset défend lui aussi l’idée d’un atelier ouvert aux expérimentations artistiques, dont a profité depuis la fin des années 1990 une prestigieuse part de la scène de l’art contemporain, au premier rang de laquelle Claude Lévêque, Daniel Buren, Wang Du, Lawrence Weiner, ou plus récemment Nicolas Moulin, Pierre Ardouvin ou Jean-Luc Moulène. En 2003, la rencontre avec Paul Préciado permit d’inaugurer un programme de recherches entre art, théorie et activisme, centré sur les questions post-identitaires, transgenre, post-féministes… Au Transpalette, Annie Sprinkle organisa par exemple un atelier Eco-Sex.
Dialogue entre art et science
Après avoir organisé en 2015 la première édition de la Triennale de Vendôme (Loir-et-Cher) et monté une exposition avec Claude Lévêque, Genre humain, au palais Jacques Cœur, le Transpalette prolonge aujourd’hui son histoire en lui conférant un nouvel élan, en dépit de la modestie de ses ressources financières (il est l’un des centres d’art les moins riches en France) : devenir un « Hub », c’est-à-dire une plate-forme croisant les savoirs et interrogeant « la construction des identités anciennes et nouvelles en temps de grands vacillements ». Cette volonté de régénération s’adosse à ce que Damien Sausset et Erik Noulette appellent un “projet évolutif, compostable” intégrant aussi bien des artistes et des activistes que des philosophes et des scientifiques.
Ce dialogue entre art et science, bousculant les identités fixes, traverse ainsi les expositions présentées ce mois-ci, Entropia, guidées par cette idée de la transformation du vivant et le degré d’incertitude de la matière. Entropia construit ainsi un dialogue entre les artistes SMITH, le duo Art Orienté Objet (AOO) et Quimera Rosa. Le travail de SMITH prolonge un projet, « Traum », initié en 2015 à la galerie des Filles-du-Calvaire à Paris. Ici, la jeune artiste de 30 ans, ancienne élève de l’école de photo d’Arles, aujourd’hui en thèse de philo, déploie un récit, construit à partir d’un film vidéo, de sculptures et d’images photographiques, autour de la fusion de deux corps de deux Soviétiques impliqués dans la conquête spatiale, Yevgeni et Vlad (le premier assiste à la désintégration de la fusée transportant son ami ; perdant pied avec le réel, son moi se délite et se refaçonne).
A cet univers singulier et sans identité claire, évoquant parfois un climat proche de celui déployé dans la série Cremaster de Matthew Barney, fait écho une vidéo de AOO, questionnant, elle, le « rituel du serpent » au cœur de l’œuvre du philosophe Aby Warburg (un rituel qui désigne la manière dont des Indiens pueblos d’Amérique du Nord, les Hopis, croient dominer les forces de la nature par le jeu de la pensée symbolique), ainsi qu’une installation, « L’herbe noire » interrogeant la mutation du vivant sous l’action de l’humain.
hybridation plante/humain/animal/machine
Une réflexion que mène aussi Quimera Rosa avec son projet de bio-art, évolutif et transdisciplinaire, d’hybridation plante/humain/animal/machine TransPlant… Du devenir cyborg à toutes les hybridations possibles, le Transpalette accueille des nouvelles formes de vie, telles que des jeunes artistes les pensent et les mettent en forme. Tous guidés par le souci de l’intersectionnalité qui permet de contester les modèles de l’identité normée ou pure.
Le Transpalette ne compte pas s’arrêter à cette série de propositions déstabilisantes. Tout au long de l’année 2017, il proposera trois autres temps forts, dont une rétrospective attendue de Michel Journiac (centré sur le sang dans ses performances) et une « cartographie renarde », inspirée des travaux de Paul Préciado pour fêter les 40 ans du Centre Pompidou : une sélection d’œuvres de la collection de Beaubourg autour de la question post-identitaire.
Par opposition à une « cartographie du lion », qui privilégie la normalisation des identités, cette « cartographie renarde » mobilisera des récits multiples, issues à la fois des collections du Centre Pompidou et de collections privées : Gina Pane, Pipilotti Rist, Anne-Marie Schneider, William Burroughs, John Giorno, Derek Jarman, Michel Journiac, Paul McCarthy, Bruce Nauman, Natacha Nisic… A Bourges, le Transpalette bouscule les certitudes, les regards et les identités : fidèles à leurs premiers élans, les équipes du centre d’art, soutenus par la ville et la région, ne cèdent rien sur les diktats sinistres de l’époque. En lutte, comme les punks qu’ils furent, qu’ils sont restés et qu’ils resteront.
Entropia, Le Transpalette, Centre d’art contemporain, jusqu’au 8 janvier 2017
Friche l’Antre-peaux, 26, route de La Chapelle, Bourges, tél : 02 48 50 38 61
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