La nouvelle exposition de la collection Pinault, à Paris, invite l’artiste anglaise à déployer une méditation élégiaque où la beauté a pour corrélat une disparition programmée. Summertime sadness.
On pourrait se demander pourquoi la Bourse de Commerce – Pinault Collection (Paris) a choisi d’inviter la minutieuse et presque taiseuse Tacita Dean pour sa programmation d’été. L’artiste anglaise décline depuis les années 1990 une œuvre ténue, reculant devant le spectaculaire quand bien même ses formats seraient monumentaux.
Ses matériaux, déjà, traitaient de la disparition, de l’effacement, de l’oubli, du glissement vers la nuit de l’oubli ou de l’étincelle surgissant pour être aussitôt étouffée : grands dessins à la craie pulvérulent, films à la pellicule argentique crépitante, photographies argentiques ou collections de cartes postales jaunissantes.
Le périple entravé de l’Albatros
Sa manière, elle, a quelque chose de l’Albatros de Baudelaire : romantisme solitaire, tombé à terre et venu trop tard, faisant œuvre de l’impossibilité de l’épique, du voyage, de l’envol. Artiste du voyage, Tacita Dean s’est, auparavant, lancée à la poursuite d’œuvres d’art disparues : la Spiral Jetty ou la Partially Buried Woodshed de Robert Smithson par exemple, construites en pleine nature. Pour Geography Biography, le titre de l’exposition, c’est également un périple qui donne l’élan, et son enlisement qui procède la texture poétique.
Seulement, l’artiste mène dès lors un voyage intime tout autant qu’extime. Ruban de Möbius, involution permanente. Spirale infinie, ici encore, mais nichée au cœur de l’architecture toute en courbes de béton du bâtiment. Le film en diptyque du même nom, présenté dans la rotonde, est niché dans le noir d’une structure circulaire élaborée pour l’occasion.
Les riches heures de Tacita Dean
Elle a choisi également de dédoubler l’architecture. De la fermer, donc, pour mieux l’ouvrir sur le périple intérieur. Tourné en 35mm, silencieux, le film superpose à des images tournées dans diverses parties du monde des pastilles incrustées, dont les images proviennent de sa collection de cartes postales, souvenirs personnels et rushes de films non utilisés.
Le temps s’écoule, pris dans une révolution permanente. Le même mouvement cyclique, celui d’une cosmologie intime propulsée à l’échelle du mouvement universel des saisons, se retrouve à l’étage supérieur, qui présente dans les galeries un ensemble d’œuvres récentes caractéristiques de sa pratique.
Glaciers, prunus, et parcelles d’été
Parmi elles, le dessin à la craie d’un glacier renversé, en cours d’érosion donc, travaillé d’inscriptions textuelles. Ici aussi, fragilité nouée à l’érosion. Son titre : The Wreck of Hope, soit “l’épave de l’espoir”. En regard, deux photographies retouchées au crayon de couleur de prunus japonais millénaires en pleine floraison. La célébration primesautière du renouveau est ici armaturée de tuteurs, soutenant ces arbres géants voûtés par le poids des ans.
Plus loin, c’est peut-être la pièce la plus ténue qui contient le mieux l’esprit de sa pratique, cette tristesse estivale, cette “summertime sadness” chantée par d’autres : à ses ami·es, des artistes comme Julie Mehretu ou Roni Horn, elle demande huit souvenirs de l’été sous la forme de petits formats papier.
Ici aussi, l’impossibilité de retenir un sentiment fugace donne lieu à la création, à un travail de mémoire du temps mené à plusieurs, comme pour remettre en mouvement ce qui autrement s’efface. Comme les grains de sable s’échappant d’une paume ouverte, en plein cœur de la torpeur douce-amère de la période estivale, cette mise en suspens du quotidien qui, lui, file droit, mesuré, rentabilisé, comptabilisé.
Tacita Dean. Geography Biography, jusqu’au 18 septembre 2023 à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, à Paris