Dans une exposition immersive à la Cité de la Musique, Matthieu Chedid accorde ses ambiances sonores aux images du photographe Martin Parr. Un dialogue fécond, déjà présenté aux Rencontres d’Arles en 2015, qui s’ajuste parfaitement à l’espace parisien, resserré et habité.
Lorsqu’ils s’aventurent sur des chemins partagés avec d’autres artistes, les photographes aiment s’associer aux écrivains, comme si l’association du visuel et de l’écrit, sur le modèle mythique Walker Evans-James Agee (« Louons maintenant les grands hommes »), permettait de saisir pleinement la réalité du monde. Si elle n’a pas le pouvoir des mots censés intensifier l’image, la musique a aussi quelques ressources pour suggérer d’autres biais pour en éprouver l’attrait. C’est sur ce pari d’un dialogue fécond possible entre le son et le visuel que le directeur des Rencontres photographiques d’Arles Sam Stourdzé avait proposé en 2015 au chanteur Matthieu Chedid d’accompagner le photographe anglais Martin Parr dans une exposition en forme de parcours musical parmi ses images.
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A ce souci de décloisonner la photographie, en l’ouvrant à d’autres horizons dialogiques, répond aujourd’hui, en écho, le souci de la Cité de la Musique de décloisonner la musique, en l’ouvrant à l’image. Deux stratégies muséales complémentaires pour une exposition immersive semblable, même si l’installation parisienne privilégie plus une ambiance intime, dans un espace plus dense, à la fois au plus près des images et au plus près des sons qui circulent au fil du parcours.
Une chambre d’échos entre sons et images
Ce motif de l’entrelacement se déploie d’une double manière dans l’exposition, qui joue aussi bien sur les échos entre les sons de M et les images de Parr que sur les échos des sons entre eux. Tout est dans tout : les images dans les sons, les sons dans les images, mais aussi les images dans les autres images et les sons dans les autres sons. La fragmentation des espaces visuels et sonores produit paradoxalement ce sentiment d’unité et de cohérence conditionné par l’organisation fluide de l’espace.
Matthieu Chedid a structuré le parcours en neuf environnements distincts, comme autant de façons possibles et aléatoires de découper l’œuvre de Martin Parr : piano, basse, guitare électrique, synthétiseur, percussions, voix, guitare acoustique… A chaque instrument créant un climat musical autonome, s’ajuste une partie thématique de l’œuvre du photographe, en résonance, comme une petite musique accompagne un enfant qui s’endort ou une grande musique un penseur qui écrit.
Tous les motifs obsessionnels, déjà connus, des images de Parr (près de 500) défilent sur les murs et les écrans : les touristes perdus dans le « small world », des musées aux sites naturels mythiques, les chapeaux, les appareils photos, les plages, les déchets et détritus, les nuques, les McDo, les couples qui s’ennuient au restaurant…
Un duo d’ironistes
Les sons doucereux d’une guitare sèche ou d’un sifflement discret se superposent à l’expérience du regard, qui est autant une expérience de l’écoute. Retenue, presque étouffée, la musique de Matthieu Chedid n’écrase jamais les images mais cherche presque à se faire oublier, comme si la distance du son face à l’image s’ajustait à la distance de l’artiste face au monde.
Autant que Parr est ironiste dans son regard, M est ironiste dans ses compositions, c’est-à-dire lucide sur la place, distanciée, qui est la sienne, au service d’une vision avec laquelle il exprime son accord, parfait et mineur à la fois. Son seul enjeu est de parvenir à saisir une certaine vérité de l’image, surtout pas absolue, mais pleine dans son évidente simplicité.
Ce qui fonctionne bien dans ce dialogue discret, c’est la rencontre entre deux « esthétiques du détail ». Photographe scrupuleux du détail et des plans resserrés, comme une manière de dévoiler ce qu’on n’ose même plus voir, Martin Parr réinvente malgré lui Matthieu Chedid en musicien du fragment, de la séquence, plutôt que de la mélodie et de la chanson. M chante moins qu’il ne chantonne, à la mesure de Parr qui embrase moins la vie qu’il n’en saisit les débris et les miettes. Les légères touches de piano qui accompagnent les plus belles images de l’exposition – celles des années 1970 en noir et blanc sur les campagnes anglaises, déjà légèrement corrosives mais étrangement habitées à la manière d’un Robert Frank – accomplissent ce miracle de délicatesse : projeter dans le regard de Martin Parr une part imaginaire de musicalité que ses images contiennent dans le creux d’un silence.
MMM : Mathieu Chedid rencontre Martin Parr Cité de la Musique, Philharmonie de Paris, jusqu’au 29 janvier 2017
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