Pionnier légendaire de la techno berlinoise, Mark Ernestus poursuit aujourd’hui ses aventures en croisant ses rythmes à ceux du ndagga d’Afrique de l’Ouest. Une réussite.
Musicalement parlant, le Berlin d’aujourd’hui ne rayonnerait pas autant sans Mark Ernestus. On l’a connu fondateur et gérant de Hard Wax – magasin de disques ouvert en 1989, rapidement devenu La Mecque germanique de l’électronique. Il fut ensuite l’initiateur des labels Basic Channel (également le nom du duo culte qu’il forma avec Moritz von Oswald) et Chain Reaction. Lui-même producteur/remixeur aux mains expertes, il a joué un rôle primordial dans la (haute) définition de cette techno épurée à l’extrême et fortement empreinte de dub, si caractéristique du Berlin des années 1990 et 2000.
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Fan de dub et de reggae depuis très longtemps, Ernestus – visage pâle au crâne chauve et à la longue silhouette – ne cesse, ces dernières années, de se rapprocher du continent africain. Après avoir remixé des morceaux du groupe congolais Konono n° 1 et signé (avec Mark Ainley) la compilation Shangaan Electro, centrée sur la trépidante scène sud-africaine, Ernestus a fait paraître entre 2012 et 2013 plusieurs maxis, tout entiers consacrés au mbalax. Ces maxis viennent d’être regroupés sur deux disques, 800% Ndagga et Ndagga Versions, le premier contenant des morceaux avec vocaux et le second des instrumentaux, les deux s’avérant magistraux.
Style musical très populaire en Afrique de l’Ouest, en particulier en Gambie et au Sénégal, parfois appelé ndagga, le mbalax mêle héritage traditionnel et sonorités modernes en un alliage dense et dansant, qui repose avant tout sur le sabar, un tambour sur pied essentiel dans la musique sénégalaise. “J’ai entendu pour la première fois du mbalax en 2008, lors d’un festival au Danemark dans lequel je jouais avec Tikiman. Juste avant notre concert, des DJ gambiens ont passé cette musique aux rythmes incroyables pendant deux, trois heures. Leur set m’a littéralement scotché. Ce que jouaient ces DJ ne ressemblait à rien de ce que je connaissais et pourtant me semblait familier. Etre ainsi frappé par un son complètement différent, ça n’arrive pas souvent… Dès le lendemain, je me suis lancé à la découverte de cette musique.”
Trouver des disques de mbalax à Berlin, où la communauté africaine est très réduite, relève de la mission impossible. C’est principalement grâce à YouTube – mais aussi à quelques incursions dans des magasins de disques du XVIIIe arrondissement de Paris – que Mark Ernestus va pouvoir approfondir sa connaissance du genre. Désireux de se colleter avec ce matériau musical, il planifie en 2011 un voyage en Gambie et au Sénégal. Via un ami commun, il rencontre le musicien sénégalais Bakane Seck, griot/joueur de sabar et leader de l’ensemble de percussions Jeri-Jeri. L’idée d’un projet commun naît, qui donne lieu, dans un studio de Dakar, à une session d’enregistrement brève (quatre jours) mais intense. Une fois rentré à Berlin, Ernestus va retravailler les bandes avec sa minutie habituelle, allant dans le sens du plus grand dépouillement pour mieux faire éclater la puissante dynamique (poly)rythmique du mbalax.
Si elle est chirurgicale, sa précision de geste n’est en rien d’une froideur clinique – bien au contraire, elle est d’une chaleur unique. En témoignent superbement ces deux disques, en tous points étincelants.
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