“Ce ne sont pas les articles parus du vivant de l’auteur qui comptent. Pour un écrivain, l’action commence à sa mort, avec sa nécrologie,” avait déclaré Martin Amis. Que reste-t-il des écrivain·es, une fois qu’ils et elles ne sont plus ?
La mort de Martin Amis a suscité une couverture médiatique énorme en Angleterre. Et à raison : Amis fut l’un des écrivains britanniques les plus importants, rajeunissant la littérature anglaise avec Le Dossier Rachel en 1973, puis poursuivant son travail de styliste avec Dead Babies, Success, Money…. Son modèle n’était autre que Vladimir Nabokov, c’est dire s’il mettait le style au-dessus de tout.
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Devenu dès ses débuts le darling de la critique littéraire, et assez rapidement le centre d’une attention médiatique habituellement réservée aux stars du rock ou de l’audiovisuel, Amis fut traité par la presse de son pays de deux façons : avec le respect dû à une œuvre littéraire virtuose, ambitieuse, et avec la vulgarité et la méchanceté réservée aux peoples, transformant tout et n’importe quoi (du prix de sa chirurgie dentaire à son divorce) en gossips pour tabloïds et en charge populiste. L’une de ses nécros dans le Times rappelait ce qu’Amis, en réaction à tout cela, répétait souvent : “Ce ne sont pas les articles parus du vivant de l’auteur qui comptent. Pour un écrivain, l’action commence à sa mort, avec sa nécrologie.” Bref, quelle place celle-ci annonçait en termes de postérité ? Ce qu’il disait au fond en sous-texte, c’est que pour un·e écrivain·e, le plus essentiel était d’être lu·e par les générations futures, et pour son œuvre, de durer dans le temps.
Pour les futures générations
D’une certaine façon, Michel Houellebecq ne semble pas penser autrement en publiant cet absurde texte geignard et sordide qu’est Quelques mois dans ma vie : une attaque contre ce qui s’est dit à son sujet récemment, contre les images de ce triste film porno qui risquent de circuler contre son gré, en dézinguant le réalisateur dudit film, et en tentant aussi de jeter le discrédit sur les critiques qui ont osé l’accuser de diffuser une idéologie d’extrême droite. Entre pose victimaire et mauvaise foi, le texte semblait moins pensé dans une volonté de réécrire le présent que de laisser, pour la postérité, sa propre version des faits qui auraient risqué d’entacher celle-ci. Bref, une forme d’autoblanchiment pour se rendre acceptable auprès des futures générations.
Lors de notre entretien réalisé en janvier 2015 à la sortie de Soumission, quand je l’interrogeais sur sa pensée politique du moment, sa vision de la société française contemporaine, lui demandant aussi s’il ne craignait pas d’être mal interprété en publiant ce roman, Michel Houellebecq m’avait répondu qu’il n’écrivait pas avec notre époque en tête, mais au-delà, pour être encore lu dans cent ans. Ce que l’on retrouve chez Amis – et chez Houellebecq longtemps, même si celui-ci l’aura finalement trahie –, c’est une haute conception de la littérature. Et l’on pourrait d’ailleurs ajouter ici Philippe Sollers, disparu peu de temps avant Martin Amis, qui avait lui aussi un sens très aigu de son œuvre, du fait de “faire œuvre”, et de souhaiter que celle-ci s’inscrive dans le temps. Même si chacun d’eux a commencé à écrire à des moments différents – les années 1950 pour Sollers, 1970 pour Amis, 1990 pour Houellebecq –, il s’agit encore à chaque fois d’un temps où l’écrivain jouissait d’un vrai prestige dans le champ culturel, voire d’une aura. En parlant de sa nécrologie, Amis prouvait qu’il croyait toujours à la figure du grand écrivain comme statue de marbre inébranlable. Mais notre temps a prouvé que les statues peuvent être déboulonnées, littéralement.
D’ailleurs, ça n’aura pas fait long feu. Deux semaines après la disparition d’Amis, certaines voix dans la presse anglaise commencent à s’élever pour dire qu’il était illisible, beaucoup trop difficile, qu’il serait quand même plus “relaxant” de lire des autrices de chick lit, et de le condamner irrémédiablement pour misogynie. Espérons qu’elles ne gagnent pas du terrain.
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