Au XIXe siècle, une cohorte de monstres humains pistés par deux scientifiques. Le premier recueil fantastique
de Jonathan Wable, jeune auteur ultradoué.
Son éditeur nous a alertés : en dix ans d’épluchage de manuscrits reçus par la poste, jamais rien lu de plus beau. Un effet d’annonce qui aiguise la curiosité. En ouvrant ces Six photos noircies, premier livre d’un garçon de vingt-sept ans sans emploi, on est tenté de contester un diagnostic émis ici même dans nos pages, à savoir l’inaptitude des Frenchies à rivaliser avec l’art américain de la nouvelle. Ce recueil de vingt histoires fournit la preuve du contraire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Son mérite repose ailleurs que sur le terrain de l’avant-garde : nous sommes ici plongés dans une époque reculée, sans doute la fin du XIXe siècle, dans une atmosphère pétrie de références à la littérature “fin de siècle” (les décadents Huysmans et Barbey d’Aurevilly) et de fange horrifique à la Edgar Poe. Deux scientifiques enquêtent sur des phénomènes paranormaux. Leur hobbie leur fait arpenter la planète, armés de leur seul appareil photo : en six déclics, ce tandem d’explorateurs borderline fixe l’innommable, qui est la matière même de ce livre.
Aristocrate anthropophage, écureuils tueurs, jumeaux pratiquant l’éviscération, femme enfantant des vers géants singe sanguinaire attifé en laquais : ces nouvelles reliées entre elles racontent une traque de freaks jusqu’au vertige, une fascination pour le pire sous la bannière anthropologique. D’abord identifiables (capitales européennes, Ouest américain), les lieux se meuvent en contrées fantastiques, forêts d’épines et jungles mauves, palais argentins et vérandas à trois étages, cimetières profanés. La beauté de ce monde fictif tient à sa géographie, tout en extensions, enfoncements et réseaux : un labyrinthe borgésien de tunnels et de chausse-trapes, de passages secrets révélant d’abominables mascarades, cette part monstrueuse et inouïe de l’humanité.
Jonathan Wable réussit là où d’autres ont failli : la densité des mondes pris dans la minceur d’une intrigue, le pari du baroque contre le thème de la banalité (sorte de maladie de la nouvelle). Est-ce grâce à son patronyme anglosaxon, sésame permettant de maîtriser la technique du genre? La forme hybride du livre, estampillé “roman-nouvelles” ? Une chose est sûre, il y a derrière un écrivain.
Emily Barnett Six photos noircies (Attila), 200 pages, 12 €
{"type":"Banniere-Basse"}