Sofiane a deux choses à défendre : son nouvel album qui cartonne, et son attachement aux cités. Sous le feu des projecteurs depuis qu’il a calmé manifestants et policiers lors d’un rassemblement à Bobigny, il rejette pourtant ce rôle de porte-parole et d’exemple.
Sofiane le répète : « C’est un alignement des planètes ». Le fait que le rappeur du Blanc-Mesnil sorte son album #JeSuisPasséChezSo, qu’il se retrouve porté en héros sur les réseaux sociaux après avoir calmé manifestants et policiers à Bobigny, et que le tournage d’un de ses clips ait défrayé la chronique, ayant soi-disant déclenché une émeute aux Mureaux, le tout en moins d’un mois, n’est que pur hasard. Peu importe, l’actualité est chargée. Même la grippe n’aura pas raison de son agenda de ministre. Après plus de dix ans passés à tenter de percer, le voilà qui touche un public plus large, en tête des ventes. Ça n’est vraiment pas le moment de rester au lit.
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« La vérité, c’est le charbon, et la patience »
On a tendance à l’oublier, mais Sofiane, aussi appelé Fianso, a de la bouteille. « Ceux qui émergent en six mois, bien souvent, ils disparaissent en six mois. Espérons que ceux qui émergent en dix disparaissent dans dix ans. On ne va pas se mentir, la vérité, c’est le charbon, et la patience. » A 30 ans, il a fait le choix du rap dur, « celui de la rue », qu’il a perfectionné notamment grâce à ses freestyles. « J’ai toujours trouvé bizarre ces artistes qui ‘subissent’ le live. Ils kiffent rapper, mais dans un studio avec des meufs et de la vodka. Dès que tu les envoies au feu, ils sont pressés que ça se termine. Que ce soit à la radio ou sur scène. Je crois que j’ai cet avantage : le freestyle, la scène, la pression, je kiffe. C’est ma came. »
http://www.youtube.com/watch?v=QSVGMZWuIGo
« Le bougnoule de service, c’est pas moi »
La pression, justement, l’amène parfois à se mettre en avant. Le 11 février à Bobigny, la situation est tendue lors du rassemblement pacifique contre les violences policières.
« Je me suis retrouvé avec une meute de gens en face d’une meute de schmits. J’ai fait comme si j’étais dans ma cité avec mes propres petits. C’est aussi simple que ça. Quand je les ai vu pointer les canons, j’ai dit à tout le monde de lever les bras. J’ai regardé les policiers, il y en avait des très jeunes, l’ambiance était très crispée. Quand ils ont vu que je tenais plus ou moins les gars, il y a un gradé qui m’a pointé du doigt en me demandant de venir le voir. Il m’a dit : ‘T’as l’air d’être le leader.’ J’ai répondu : ‘Moi, je suis le leader de rien du tout. Mais si je peux éviter qu’un gamin se fasse blesser aujourd’hui, ça serait pas plus mal.’ Et il m’a dit : ‘Il faut qu’il y ait dix mètres entre vous et nous, sinon il faut que j’allume. Et j’allumerai. Aujourd’hui, j’ai envie de tirer sur personne.’ J’ai tenu les gars, il a tenu les siens. Ils ont reculé, on a calmé les gens, et c’est là que la fameuse vidéo a été filmée. »
Depuis, son téléphone n’arrête plus de sonner. Tous les médias veulent parler au pacificateur, au médiateur, au porte-parole, au représentant des quartiers. Mais Sofiane, malgré son tempérament de leader assumé, ne rentre pas dans ce jeu. « Je ne fais pas France Inter ou BFM TV parce qu’ils veulent juste un rebeu qui sait aligner plus de trois syllabes. Le bougnoule de service, c’est pas moi. Et puis je veux aussi parler de musique. T’imagines causer de mon album sur BFM Grand Angle ? J’ai très peur de la récupération politique, d’un milliard de trucs. Il y a des pièges devant moi. »
Le réseau de la rue
Il laisse faire ceux qui, dans le rap, ont endossé ce rôle difficile, parfois ambigu et risqué de porte-parole, tels Kery James et Youssoupha. Ces derniers ont largement contribué au succès du concert « Justice pour Adama Traoré » le 2 février à Paris, qui réunissait une volée de grands noms du rap français. Sofiane était de la partie. « Je ne suis pas Kery James, je n’ai pas sa carrière. Je lève les mains avec humilité, ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas. Si je veux jouer à l’exemple, on aurait vite fait de vérifier que je n’en suis pas un. »
Vérifions. Sofiane Zermani a vécu à Stains jusqu’à ses 13 ans, puis au Blanc-Mesnil. Un pur produit du 93, marié depuis ses 19 ans, deux enfants, passé quelques fois par la case prison. Pas un exemple, mais un type profondément tourné vers les autres. Quand il s’adresse à vous, il est corps et âme dans la discussion. Son attachement aux cités, qu’il considère comme les fondations d’une ville, lui vaut d’avoir un réseau dans les quartiers un peu partout en France. Tous les Franciliens ne peuvent pas se permettre d’aller tourner un clip à La Castellane de Marseille. Lui, si. Comment ?
« Grâce au réseau rue. Et rien d’autre. Il n’y a aucun label, aucun producteur, aucun manager qui peut te permettre de faire ce que j’ai fait dans le rue. Ce sont mes gens, mon équipe, mes acolytes, mes associés. Les maisons de disque ne peuvent pas t’emmener dans les endroits où je suis allé. C’est la rue qui a parlé. C’est aussi pour ça que je ne peux pas dire aux petits noirs et aux petits arabes qu’il faut aller à l’école pour avoir des diplômes et devenir avocat. La vie, c’est pas comme ça. Il y a des réalités beaucoup plus sombres. C’est facile d’aller à BFM TV, de mettre une belle chemise et de dire qu’on va sortir nos petits frères de la galère. Mais la vérité, ce sont des gamins qui sont obligés d’aller à l’usine ou de faire du sale parce que les parents n’arrivent pas à payer le loyer. Quand on en parle à la télé, on nous traite de démagos. Ce sont des mecs de 22 ans qui se prennent des matraques dans le cul à Aulnay-sous-Bois et qui ont des flics qui portent plainte contre eux ensuite. C’est l’IGPN qui dit que c’est un accident. Le foutage de gueule, on le connaît. »
« On est juste nous »
Un discours habité qui l’a poussé à accepter un nouveau rôle : celui d’ambassadeur du club de foot historique du 93, le Red Star, remonté en Ligue 2 en 2015. « Tu veux le mytho habituel ? Ok. On a des valeurs communes, blablabla. Tu veux la vérité ? C’est le club du 93 et je veux voir tous les mecs de cité dans les gradins supporter leur équipe. » Durant toute la discussion, deux leitmotivs : humilité et vérité.
« Tu vois les gars dans les clips, avec leurs flingues. Dès qu’ils se retrouvent dans une cité sombre avec des gens sombres, ça leur fait tout bizarre. Ils ont oublié ça depuis longtemps. Ils écrivent des bouquins sur le tennis sans jamais avoir tenu une raquette. Certains le font très bien, mais de la fiction à la réalité, il y a un gap. Donc il faut arrêter les conneries. Après, si un type est un parrain de la mafia italienne, il l’est. Si l’autre est de Compton, il l’est. Si ça marche et que ça vend des disques, tant mieux. Mais nous, on est juste nous. Sans triche, sans artifice, sans styliste pour les clips, sans lumière quand il fait sombre, sans maquillage pour cacher les balafres. On est juste nous. »
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