Ancien chevènementiste et énarque, Florian Philippot, 31 ans, serait le nouveau gourou de la leader du FN. Et donc, l’homme à abattre pour la vieille garde frontiste.
Devant le Bonaparte, un café de la place Saint-Germain-des-Prés, Florian Philippot marche en rond et semble aux aguets. Le téléphone collé à l’oreille, l’homme a le regard concentré et l’attitude de quelqu’un qui se sent épié. Une posture cohérente avec sa situation au sein du mouvement : depuis quelques mois, il est devenu l’homme à abattre. L’atmosphère sent la poudre dans les couloirs du « Carré » – le siège du mouvement, à Nanterre – et les langues se délient dans la presse. Une telle défiance à l’égard de la direction, on n’avait pas vu ça depuis longtemps, foi de vieux grognards.
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Son hommage à De Gaulle fait tousser la vieille garde
En moins de deux ans, l’ancien conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, âgé de 31 ans, est devenu le numéro 2 du Front national et la bête noire d’une partie de la famille frontiste. Après être rentré dans le bar et avoir coupé son téléphone, celui que le journal d’extrême droite Minute a surnommé « Philippot Ier » décompresse. Chemise entrouverte sur un pull bleu roi, le vice-président chargé de la stratégie et de la communication du Front national se dit « détendu » et « serein ». Quand on évoque la fronde qui monte au sein du mouvement, il se défend, explique qu’il n’est pas un « homme d’appareil » et qu’il a le « soutien des adhérents ». Que lui reproche t-on au juste ? De cumuler toutes les tares aux yeux d’un militant frontiste.
Florian Philippot est un pur produit des grandes écoles dans un parti qui les exècre, une caricature du Parisien parachuté en province, un ancien chevènementiste qui a édulcoré la parole frontiste et une pièce rapportée en haut de l’organigramme du parti au détriment de collaborateurs plus anciens, qui ont soif de revanche. Dans un mouvement habitué à marcher en rangs serrés, les initiatives prises par le soldat Philippot irritent la vieille garde.
Outre le fait d’avoir convaincu Marine Le Pen de ne pas assister à la « manif pour tous », il n’a pas hésité à déposer une gerbe sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, le 9 novembre dernier. Quand on évoque l’événement auprès de Jean-Marie Le Pen, à Montretout, le président d’honneur du FN trouve la pilule difficile à avaler :
« C’est un garçon assez remarquable sur le plan intellectuel mais j’ai trouvé ce geste superflu. Je pense que c’était un relatif manque de discrétion par rapport à un parti politique dans lequel il venait juste d’entrer et à qui il imposait cet acte de communication, estime t-il. Ça a choqué une partie importante du mouvement, les pieds-noirs, les harkis, les gens de l’Algérie française, qui avaient de fortes raisons de ne pas être gaullistes, hein. »
« Il voulait mettre l’immigration entre parenthèses »
De la même manière, féru des analyses de Jacques Sapir ou d’Emmanuel Todd, Florian Philippot privilégie l’économie ou le social aux fondamentaux frontistes que sont l’islam ou l’immigration. « Avant la présidentielle, il sortait des sondages qui laissaient penser que si Marine mettait l’immigration entre parenthèses et qu’elle se concentrait sur l’économie, elle aurait un boulevard devant elle. Heureusement qu’on a redressé le tir à la fin », note un cadre du mouvement. Pourtant, Philippot continue d’entretenir un rapport privilégié avec Marine Le Pen. On évoque un « gourou » qui a « hypnotisé » la présidente du mouvement. « Elle n’écoute plus que lui. Du coup, les liens se sont distendus avec le reste des dirigeants », regrette un autre cacique. Certains l’accusent même de déserter le travail militant pour les plateaux télévisés. « Il serait prêt à tout pour décrocher un duplex à 23 h sur NRJ 12 », persifle un membre du bureau politique.
Jointe par téléphone, Marine Le Pen défend son protégé : « J’ai choisi de privilégier la méritocratie sur l’ancienneté. Aujourd’hui, on lui reproche tout et l’inverse de tout. J’ai connu les mêmes difficultés que Florian au début des années 2000, on m’accusait de défendre une ligne molle et de sauter une génération. C’est une sorte de bizutage qui permet de juger de la solidité de l’homme. »
Malgré ce soutien indéfectible, le directeur stratégique de la campagne présidentielle n’est pas toujours bien reçu sur le terrain. Son parachutage à Forbach fut une réussite électorale (46,30 % des voix au second tour dans la sixième circonscription de Moselle) mais pas une réussite militante. Florian Philippot n’a pas gagné le coeur de tous les frontistes mosellans. « Il a débarqué avec deux ou trois membres de son équipe de Paris. Quand on lui parlait, il nous prenait pour des boeufs », peste Alain Friderich, son suppléant, exclu peu de temps après la campagne des législatives.
Intronisé par le souverainiste Paul-Marie Coûteaux
Quatre conseillers régionaux ont récemment claqué la porte du Front à cause de ses méthodes. « Ce sont des cas relativement isolés, ils ne sont pas dans la même dynamique que nous et du coup, ça coince », explique Florian Philippot. « On me reproche d’avoir été parachuté mais les résistants aussi », glisse t-il avec le sourire en exhibant une photo de son Iphone où on le voit entouré d’une quarantaine de militants devant la mairie de Forbach. En arrière fond, on aperçoit, une croix de lorraine…
Ancien élève d’HEC et de l’ENA, il aurait pu embrasser une carrière ministérielle. Son adhésion au FN a d’ailleurs étonné ses collègues de promo qui ont gardé le souvenir d’un homme « discret » et « pudique ». Ses premiers pas de militant remontent pourtant à la campagne présidentielle de 2002 de Jean-Pierre Chevènement. Il prend alors la tête de son comité de soutien pour les grandes écoles. Ses premières émotions politiques remontent à 1999 quand le duo Pasqua-Villiers faisait trembler les murs de la « technocratie européenne ».
« Je me rappelle que je m’étais fait engueuler par mes parents car j’étais resté éveillé jusqu’à 2 h 30 du matin pour connaître les résultats de la liste Rassemblement pour la France. Le problème c’est que je passais mon bac de philosophie, le lendemain », confie-t-il nostalgique.
C’est d’ailleurs un proche de Charles Pasqua qui le mettra en relation avec Marine Le Pen. En mai 2009, l’ancien député européen Paul-Marie Coûteaux organise un apéro en compagnie de l’actuelle présidente du FN. C’est le début d’une collaboration étroite, les rencontres s’enchaînent. Paul-Marie Coûteaux se souvient d’un dîner chez lui, rue du Vieux-Colombier. Autour d’un sauté de veau et d’une bouteille de Pommard, Marine Le Pen et Florian Philippot discutent du rôle de l’Etat. « L’alchimie était totale », se rappelle l’ancien proche de Pasqua.
Conseillé par Jean-Yves Le Gallou
Deux ans plus tard, Florian Philippot est lancé dans le grand bain lors de la présentation du programme économique du mouvement. Devant un parterre de journalistes, il aligne une longue série de diapositives sur Powerpoint. Alors haut fonctionnaire à l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui dépend du ministère de l’Intérieur, il prend une identité d’emprunt. Depuis, il s’est mis en disponibilité et a adhéré au Front national. Dans l’enceinte de l’IGA, ce choix a surpris quasiment tout le monde sauf, Jean-Yves Le Gallou.
Intellectuel important au sein de la mouvance nationale et identitaire, cet ancien député européen qui a théorisé le fameux concept de « préférence nationale », également passé par l’ENA, siège lui aussi à l’IGA. Quand son jeune collège le prévient de son envie de rejoindre Marine Le Pen, il le met en garde. « Je lui ai dit, ce choix là, c’est irréversible, c’est une traçabilité à vie. C’est comme le ski en haute montagne. Tu as le choix entre une piste verte en continuant tranquillement ta carrière dans la haute administration ou d’arpenter une piste noire beaucoup plus stimulante. Il était déterminé à faire le second choix. Je le comprends »
Bénéficiant de l’appui inconditionnel de Marine Le Pen, Florian Philippot sait que les histoires d’amour entre le FN et les technocrates se finissent toujours en mélodrame. Ancien élève de Polytechnique, Bruno Mégret avait su multiplier les structures au sein de l’appareil comme d’autres jouent au Lego. Dans un parti qui a toujours préféré la croix de guerre au bicorne, l’ancien numéro 2 du FN avait gagné sa légitimité sur le terrain électoral, ce qui ne l’a pas empêché de disparaître politiquement face à Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, Florian Philippot sait qu’il possède un jeu beaucoup plus maigre en poche et qu’une éventuelle disgrâce le condamnerait à un hors-piste définitif.
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