Un coffret vient célébrer les 20 ans du troisième et dernier album de Nirvana, « In Utero ». L’occasion de repartir pour quelques heures du côté de Seattle et de passer un coup de fil au bassiste Krist Novoselic. Rencontre, critique et écoute.
Vingt-et-un septembre 1993. Kurt Cobain a 26 ans et Nirvana, tout juste remis du succès planétaire de Nevermind, sort son troisième album. Il s’appelle In Utero : ce sera le dernier du groupe de Seattle, peut-être son meilleur. Le 8 avril 1994, un peu plus de six mois après la sortie d’In Utero, le corps de Cobain est retrouvé sans vie dans sa maison de Seattle. Il s’est suicidé trois jours plus tôt, d’un coup de carabine. Pour Krist Novoselic, bassiste et fidèle parmi les fidèles, il est pourtant impossible de dire, au moment où In Utero déboule, que Cobain est aussi proche de sa fin. “Ceux qui expliquent aujourd’hui que Kurt donnait de tels signes de faiblesse que sa mort était prévisible, voire inéluctable, sont des affabulateurs. Au moment où In Utero est sorti, je crois qu’il était très content de ce que nous avions fait ensemble. Il était au sommet de son art. Les chansons qu’il a écrites pour cet album sont peut-être les plus belles et les plus intenses qu’il ait signées.” Pas faux, en effet.
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Pour coucher ce troisième essai, le groupe est parti s’enfermer dans un studio du Minnesota, en compagnie du légendaire Steve Albini. Pourquoi Albini ? “C’est simple, Kurt était un fan absolu de Surfer Rosa des Pixies, produit par Albini. Il voulait simplement bosser avec ce type qui avait mis en boîte un des cinq albums de son panthéon personnel”, explique Novoselic. Nirvana s’est inscrit en toute discrétion sous le nom de The Simon Ritchie Band sur les plannings du studio. Il fait un froid de chien (“Je ne me suis jamais autant pelé les noix de ma vie, c’était la Sibérie” – Novoselic) mais les garçons trouvent assez vite la direction à suivre. “Je regardais Albini pendant que nous bossions et on voyait à sa tête qu’il se passait un truc cool”, poursuit Krist Novoselic. Presque tous les titres sonnent comme des classiques, du furieux Serve the Servants qui ouvre l’album jusqu’au sublime All Apologies qui le clôt, en passant bien sûr par les évidents Dumb, Rape Me ou encore Heart-Shaped Box – ce dernier sera envoyé en éclaireur avec sa vidéo déprimos signée Anton Corbijn.
Pourtant le label Geffen Records, qui se méfie de la réputation de puriste d’Albini, décide de rebooster les deux singles Heart-Shaped Box et All Apologies (en confiant un mix additionnel à Scott Litt, producteur de R.E.M. notamment). Cobain, sérieusement défoncé avant la sortie d’In Utero, et fan absolu de R.E.M., ne proteste pas trop. Albini est furieux et on le comprend : lui qui ne fait aucune concession est triste de voir Cobain capituler aussi facilement.
Aujourd’hui, ces prises originales signées Albini sont à redécouvrir sur le fabuleux coffret hommage qui vient fêter les 20 ans du disque. Cobain aurait détesté mais l’objet est un régal pour les fans. Outre ces prises vintage, qu’on est en droit de préférer aux versions “officielles”, on trouve également dans cette édition augmentée les pré-versions de nombreux morceaux du disque, des demos et des chutes de studio pas foncièrement nécessaires mais au charme certain, le longtemps introuvable I Hate Myself and Want to Die (qui ne fut longtemps réservé qu’aux possesseurs de la compile The Beavis and Butthead Experience – autant dire des types bien, han han, han han) et, surtout, des extraits live, dont le fantastique passage de Nirvana dans Nulle part ailleurs sur Canal+, c’était un 4 février 1994 – le groupe en costard pour trois titres qui changeront des vies (Rape Me, Pennyroyal Tea, Drain You).
Mais ce qui frappe surtout, à la réécoute de ces morceaux, c’est le songwriting de Cobain. On ne le dira jamais assez, mais lors du Unplugged à MTV qui avait suivi (novembre 1993), où une bonne partie des chansons d’In Utero furent jouées dans la plus grande nudité, c’est tout le talent d’écriture de Cobain qui sautait aux yeux. Débarrassées des riffs et autres effets de cheveux, les chansons du père Kurt transpiraient alors d’une mélodicité très rarement atteinte dans la pop-music au sens large (les demos qui peuplent ce coffret, mixées par Jack Endino, aux manettes du premier album Bleach, viennent confirmer cela).
In Utero vingt ans plus tard, c’est découvrir en tant que kid, ou alors se convaincre encore – avec un peu plus de gras autour du bide –, que Kurt Cobain était un type au talent hors du commun. Et on se convainc de cela jusque dans les versions les plus électriques des titres qui peuplent l’édition augmentée d’In Utero : malgré le bruit, loin de la fureur, il y a toujours cette précision et cette élégance que n’avaient pas Soundgarden ou Pearl Jam, par exemple.
Kurt Cobain, ça n’est pas simplement ce symbole boiteux, et vite foutu au mur, d’une ex-génération X qui aurait vite troqué sa tignasse et sa chemise à carreaux contre un traitement Lazartigue et une petite veste. Cobain, c’était tout simplement un type de la trempe de Lennon, de Cohen, de Neil Young ou de Bowie. Krist Novoselic, à la conclusion : “Quand j’ai réécouté certains des titres, j’ai pensé à ce que Kurt aurait pu écrire, pour Nirvana ou pour lui-même, s’il ne s’était pas donné la mort. Et je me suis dit : fuck !”
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