Qu’est-ce qu’une identité ? Pourquoi la revendique-t-on ? Le philosophe Vincent Descombes déconstruit cette obsession de notre temps.
Les identités nous obsèdent. Chacun en revendique pour soi ou pour sa communauté l’existence souveraine. Certains sont prêts au combat pour elles. Conflictuelles, contrôlées, les identités génèrent ainsi de nombreux embarras : le premier d’entre eux reste sa difficulté à en donner une définition ferme et suffisante. Parce qu’elle forme d’abord une “énigme lexicale”, le philosophe Vincent Descombes se propose d’en éclairer certains points aveugles. Spécialiste du langage, grand lecteur de Wittgenstein, l’auteur déplace le mode d’interrogation habituel, issu du champ de la sociologie et de la psychologie, vers des horizons plus abstraits et sémiotiques. Que veut dire identité ? En quoi avons-nous besoin d’un tel concept ? Faut-il comprendre l’identité “au sens de l’identique” ou “au sens de l’identitaire”, se demande Descombes, pour qui le comble de l’identité est de rester vague.
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Cette confusion entre l’identique et l’identitaire suggère qu’il existe deux usages, “élémentaire” et “moral”, du mot.
“Notre difficulté vient de ce que nous devons comprendre le langage de l’identité morale à partir du langage de l’identité au sens élémentaire, alors que les deux significations sont logiquement distinctes”, explique-t-il.
« Forcément plurielle »
Des méandres de sa réflexion, aussi logique qu’exigeante, se dégagent quelques idées fortes. La plus évidente : l’identité au sens moral est “forcément plurielle”. Personne n’est réductible à une seule qualité. “Une seule identité, c’est le fanatisme ou l’intégrisme ; plusieurs identités, c’est le début du pluralisme.” La fameuse “crise d’identité” s’enracine dans cette pluralité, incarnée par la figure d’Hamlet. Car le héros de Shakespeare reste tiraillé entre deux systèmes de moralité, l’un relevant de sa fidélité à l’ordre traditionnel, l’autre relevant de son adhésion à la culture moderne. Il a “un problème d’identité parce qu’il lui est demandé d’exister en plusieurs exemplaires”. La crise d’identité vient de ce qu’il est incapable de décider. La question de Hamlet n’est donc pas “être ou ne pas être ?”, mais “être ou ne pas être soi-même ?”.
La “philosophie existentielle”, insiste précisément Descombes, invite chacun à “opérer le choix radical de soi” :
“le sujet doit être déjà pourvu d’une définition de soi pour avoir des raisons de faire une chose plutôt qu’une autre en vue d’être soi”.
L’auteur rappelle que “l’instabilité” est constitutive de l’idée même de l’individu moderne. Alors que les hommes d’avant la modernité restaient imbriqués dans le tissu social, nous sommes désormais “désencastrés”, et donc tenus de nous définir en termes désocialisés. Nous devons apprendre à nous concevoir comme des individus composés d’identités multiples, au risque de la crise d’identité, c’est-à-dire d’un conflit d’allégeances.
Embarrassante parce que mobile, contraignante parce que nécessaire à construire par soi-même, mouvante parce que relationnelle, élastique parce que dispersée entre la conscience de soi et le regard des autres, l’identité échappe à tout effort visant à en figer les contours. C’est cet embarras qui en fait le prix et le danger.
Jean-Marie Durand
Les Embarras de l’identité (Gallimard, NRF essais), 304 pages, 21 €
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