Intitulée “NFT : Poétiques de l’immatériel, du certificat à la blockchain”, l’exposition présente un ensemble d’œuvres dont l’acquisition, au moment où la bulle se dégonflait, avait fait grand bruit.
En février 2023, le Centre Pompidou devenait la première grande institution publique à faire entrer dans ses collections des NFT (Non-fungible token). Soit dix-huit projets de treize artistes français·es et internationaux·ales, des pionnier·ères du net art des années 1990 jusqu’aux digital natives. Seulement, temporalité longue des musées oblige, la bulle s’était déjà dégonflée. Si, en mars 2021, la vente record de l’œuvre digitale de Beeple, Everydays: The First 5000 Days (adjugée à 69,3 millions de dollars), témoignait d’un affolement allant croissant, un premier crash se produisit à l’été, avant la dégringolade entérinée par la faillite de la plateforme d’échanges FTX en novembre.
Il est alors légitime de se demander si une lubie spéculative d’une durée aussi courte mérite d’être répercutée, et surtout conservée au sein d’une institution dont la vocation serait de distinguer les lignes de force de la production artistique, et de mettre l’accent sur ce qui a vocation à entrer dans l’histoire de l’art. L’exposition, qui rend publiques les acquisitions en question et les présente dans deux salles des collections permanentes, coupe court à ces interrogations.
Un ancrage contextuel
Cela tient d’abord à la nature des œuvres sélectionnées, qui inscrivent une possibilité technologique dans le temps long et la réflexion critique. Certain·es artistes reprennent le fil de leurs pensées sur l’écosystème numérique du Web 1.0 pour les confronter au Web3, à l’instar de John F. Simon Jr. ou Fred Forest, présentés en préambule.
D’autres interrogeaient déjà depuis les années 2010 la blockchain (technologie de stockage et de transmission des informations sur laquelle reposent les NFT), dont l’invention remonte à 2008 : de 2014 à 2018, Émilie Brout et Maxime Marion ont mené une œuvre-enquête aux allures de roman picaresque du dark web, lancé·es à la recherche de l’identité mystérieuse de son inventeur présumé, Satoshi Nakamoto.
Une troisième famille d’artistes a plus récemment éclairé les angles morts d’un présent dématérialisé auquel se rappelle un réel qui s’embrase (John Gerrard, prenant pour sujet l’autodestruction d’une humanité dépendante des énergies carbonées et de l’économie pétrolifère, tout en reversant une partie de ses ventes à des organisations qui luttent contre le réchauffement climatique). Mais cela tient aussi à la grande finesse du parti pris curatorial lui-même, assuré par les conservateur·rices Marcella Lista et Philippe Bettinelli. Tout en déclinant ces divers aspects thématiques par ensembles d’œuvres, l’ancrage contextuel est placé au centre de la proposition.
Une sélection d’œuvres du XXe siècle met en regard les précédents d’artistes conceptuel·les ou situationnistes
Sous contrat
Si l’intérêt pour les NFT de la part d’artistes aussi divers·es tient en partie à la possibilité de se passer des intermédiaires traditionnels du monde de l’art, alors le musée doit en retour examiner ses ambiguïtés latentes, telles que reflétées par l’une des pièces maîtresses de la proposition. Le Smart Burn Contract (2022) de Jonas Lund consiste en une série de contrats dont les acquéreur·ses s’engagent à respecter les termes, faute de quoi l’artiste détruira le NFT en question.
Ici, le Smart Burn Contract #11 intitulé Hoarder (“collectionneur·se invétéré·e”) engage à perpétuité le musée à ne vendre aucune de ses œuvres, rappelant l’inaliénabilité – pas toujours respectée – des collections publiques. Une sélection d’œuvres du XXe siècle présentées dans une vitrine met en regard les précédents d’artistes conceptuel·les ou situationnistes, elles et eux aussi engagé·es dans des réflexions autour du contrat et de l’économie capitaliste, à l’instar d’Yves Klein, Walter de Maria ou Pierre Alechinsky.
NFT : Poétiques de l’immatériel, du certificat à la blockchain au Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 22 janvier.