À 26 ans, l’artiste, qui n’est pas sans rappeler un certain Basquiat, s’apprête à présenter ses peintures, sculptures et installations oniriques à Paris.
Dans l’atelier qu’il occupe à Aubervilliers, au sein de la structure de création et d’exposition POUSH, Pol Taburet s’affaire entre les toiles. Les grands formats à taille humaine, alignés aux murs ou posés au sol, sont travaillés en série : à certains, il faut reprendre un fond magenta qui a craquelé lors du séchage ; à d’autres, il faut préciser les éléments qui feront tenir ensemble la scène. Déjà, des spectres surgissent des larges aplats de couleurs primaires, rouge vif, vert franc ou jaune nerveux, brossés à l’aide du médium (additif ou auxiliaire qui sert à modifier certaines propriétés de la peinture) à l’alcool mélangé de résine qui emplit les bocaux non loin.
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Ce sont des têtes post- ou pré-humaines, de la forme en ogive caractéristique de la grammaire de l’artiste. Ou des mains qui s’élancent dans le vide, suggestions compactes d’énergie brute. Des présences qui se tiennent entre deux mondes, à peine transies entre les règnes. Ici, rien d’assignable : ni genre ni couleur de peau. Mais quelque chose comme des situations, où l’intime s’épaissit de spiritualité personnelle et les fêtes en appartement embrument la flèche du temps.
La fabrication d’un regard
“Le sommeil de la raison produit des monstres”, indiquait en 1799 le cycle de gravures de Francisco de Goya, où les chauves-souris et les chouettes s’envolaient du cerveau d’un dormeur. Pol Taburet, né en 1997, arpente l’histoire de l’art comme d’autres créent des playlists. Au sein de sa figuration syncrétique, les leçons des maîtres ont été ingérées, samplées puis remixées. Enfant, il est tombé en arrêt devant Giuseppe Arcimboldo, il a dévoré les livres contenant des planches de reproduction de scènes de la mythologie, s’est laissé conter le quimbois créole et lire les contes de Grimm. Il y a du Goya, du Francis Bacon, du Jonathan Meese ou du Peter Saul. Peut-être aussi de lointains échos carnavalesques d’un James Ensor.
Lorsque le jeune artiste parisien d’origine guadeloupéenne prenait de court sa ville natale lors d’une première exposition remarquée, il était encore étudiant aux Beaux-Arts de Cergy. À l’automne 2020, il présentait OPERA I dans le project space de la galerie Balice Hertling à Paris. Là, la peinture était sonore : un cri surgissait de la bouche pleine de grills de créatures électrisées, possédées et zébrées d’éclairs de lumière.
“La reconnaissance ne m’a pas vraiment laissé le temps d’expérimenter. Faire des peintures ratées, des peintures moches”
Et puis, tout est allé très vite. Les galeries, les foires, les prix. Le monde de l’art, son écosystème frénétique, fascinant et prédateur à la fois. Paris, Bâle, Los Angeles, Miami. “C’était très flatteur d’avoir une vraie reconnaissance. Je n’ai jamais créé autant, j’ai pu vraiment pousser un sujet, des personnages et des espaces. Et, en même temps, cela ne m’a pas vraiment laissé le temps d’expérimenter. Faire des peintures ratées, des peintures moches : ce que tu fais normalement à l’école a très vite été interrompu dans mon cas.”
Place à l’abstraction
Lorsque nous le rencontrons début mai, les peintures que finalise l’artiste iront alimenter deux expositions conjointes. Parmi elles, sa première exposition solo en institution, qui ouvrira fin juin à Lafayette Anticipations à Paris. OPERA III : ZOO “The Day of Heaven and Hell” (“le jour du paradis et de l’enfer”), nouvel acte du cycle, traite l’espace comme un parcours total. De scène en scène, les personnages-esprits sortent des cadres, la peinture devient tridimensionnelle. Elle s’élargit à l’installation, à la sculpture également, avec des bronzes que l’artiste montrera pour la première fois.
“Je suis vraiment dans un moment de transition. Il y a quelque chose qui s’est calmé. Je me suis un peu lassé de la figuration, je cherche un entre-deux. Je veux faire des peintures ouvertes, qui disent sans dire et véhiculent un discours muet. En ce moment, je fais de plus en plus de place à l’abstraction. Les personnages viennent davantage comme des motifs sur la toile, le visage commence à s’effacer pour faire place à des rencontres entre les couleurs. C’est un réel exercice car il est plus difficile de séduire par cette simplicité, mais j’essaie toujours de me mettre un peu à l’inverse de ce que l’on attend de moi”, nous explique Pol Taburet.
“Frank Bowling, c’est plein de passion et très jazzy”
Au besoin de s’échapper d’un certain “cantonnement, qui marche très bien sur Instagram”, il évoque le séquençage de sa production en cours comme “des petits poèmes, des épisodes interchangeables”. Les peintres qu’il regarde ont elles et eux aussi changé. Sur son téléphone, il montre des photos de peintures de l’Anglo-Guyanais Frank Bowling. “Je l’ai découvert récemment et je suis tombé amoureux de son travail. Il a eu une période figurative, où l’on sent l’influence de Bacon, mais c’est beaucoup moins dur et il va traiter du sujet noir, tout en le faisant d’une manière indirecte. Et puis, il a également eu une période abstraite, avec des formats gigantesques et un travail de la couleur au pastel gras et sec que je trouve magnifique. C’est plein de passion et très jazzy.”
Le goût du son
Durant la conversation, la porte de l’atelier s’ouvre : avec la jeune artiste américaine Ser Serpas – qui mène une pratique d’installation et de peinture – à la carrière stellaire comme la sienne, Pol Taburet partage une galerie, Balice Hertling, la même qui s’apprête à inaugurer une exposition de ses œuvres récentes début juin. “En réalité, je n’ai pas trop de potes artistes ou peintres. Avec Ser Serpas, on échange pas mal ensemble depuis que l’on partage un atelier. Erwan Sene [représenté par la même galerie], qui est un ami et un voisin, a un pied dans l’art et un dans la musique. Je pense aussi à Terence Mongo, Loïck Mfoundou, Florian Krewer, Igi Ayedun, Attandi Trawalley, Deniz Bedir, Inès Di Folco ou Funmi Klein. Après, je fréquente surtout beaucoup de musiciens, comme Emma DJ, avec qui je collabore souvent. Je pense que j’aurais bien aimé être vraiment dans le son.” Et la suite ? Peindre, encore et toujours, d’abord pour lui-même. “Si j’arrive à poser cette euphorie, alors ça sera super car de tout cela, j’en ai vraiment rêvé !”
Pol Taburet à la galerie Balice Hertling, Paris, du 8 juin au 13 juillet et OPERA III : ZOO “The Day of Heaven and Hell” de Pol Taburet à Lafayette Anticipations, Paris, du 21 juin au 3 septembre.
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