Jusqu’au au 29 mai, la Tate Britain présente la plus grande retrospective sur David Hockney jamais conçue. Un show géant, qui traverse six décennies et étudie les divers procédés d’expression développés par l’artiste, qui fête ses 80 ans cette année.
Après des jours de températures baltiques et ciels oscillant entre gris foncé et blanc neigeux, Londres est dominée par un bleu resplendissant. Un évènement, mais pas de la taille de celui pour lequel une large foule se presse entre la station Pimlico et la Tamise.
Etudiants en art à lunettes rondes, jeunes Russes en manteaux beiges et sneakers, vieil Anglais endimanché en siège roulant, tous sont là pour l’expo dont tout le monde parle. La fréquentation est telle que, dès la première salle, on craint de ne pas apprécier le spectacle. On regrette de ne pas avoir laissé sacs et manteaux aux vestiaires. Puis on tourne la tête sur la gauche et un sourire naît.
Play within a play
Sur la photo, une pièce, seize personnes pour dix-neuf places assises et cinq plantes, dont seule une contemple réellement l’un des six Hockney accrochés au mur. La salle fictive a beau être encombrée, on s’y sent plus à l’aise que dans la réalité, où deux bébés pleurent et trente personnes poussent vers la prochaine étape. Le jeu d’immersion organisé par l’artiste et les curateurs commencent là. À plusieurs moments de la rétrospective, Hockney joue avec la vision du public, qui se sentira plus ou moins proche des sujets dépeints.
L’exposition propose de traverser sa vie, mais pas seulement ses pérégrinations, comme son déménagement à Los Angeles en 1964. On découvre ainsi la constante recherche de l’artiste de nouveaux supports, de nouveaux moyens de partager sa vision. Après ses premiers tableaux d’étudiant, on découvre l’impact de LA, cette ville « sexy » selon ses propres mots, sur son art. De son quartier de Santa Monica, on retrouve les rayons de soleil, les villas luxueuses et ces “jeunes hommes bien faits”, qui, selon le guide audio, “lui importent beaucoup”.
Le pop art d’Hockney n’a alors rien de populaire. On y retrouve les prémices de l’ère Instagram : le clinquant, les couleurs vives et séduisantes. On apprend que les bordures des peintures sont là pour “mettre en lumière la facticité des scènes représentées”. C’est beau, mais on attend encore d’être touché. Puis, à la salle 5, on est happé par un regard.
My parents
Sur une chaise, les cheveux blancs neige et une robe bleue comme un ciel d’été, la main droite ridée, pas très à l’aise, tenant l’autre main, trône Laura Hockney. Sur sa gauche, son mari, Kenneth, costume marron et boots noires, tourne les pages d’un album photo. Sur le guide audio, le peintre explique que son père se fatiguait vite à l’idée de poser. Sa mère, elle, restait sage et docile.
Sur une autre toile de la même série, Hockney a placé son visage dans le miroir. Il est ici substitué par des tulipes, un artefact fréquemment utilisé pour remplacer sa présence. Dans les yeux de la mère, on sent de la fierté et comme la conscience que ce regard tendre, symbole de l’amour éternel pour son fils, lui survivra. L’œuvre est touchante. Les couleurs vives sont abandonnées pour des tons plus terrestres. On quitte Hockney, le mondain de Los Angeles pour rencontrer le fils. Le petit gars de Bradford.
Décédée en 1999, Laura Hockney revient souvent dans l’œuvre d’Hockney et donc dans cette rétrospective. Toujours le même regard doux, cette beauté, même emmitouflée dans un k-way sous la pluie, sur des photos déstructurées. Ici, la présence d’Hockney est discrète : seules ses chaussures marrons, en bas de cadre, pointent vers l’entre-jambe de sa mère, comme un lien discret mais éternel.
Back to Yorkshire
C’est peut-être cette partie de l’œuvre d’Hockney qui est la plus attachante. Celle qui l’unit à ses racines, sa famille et à son Yorskhire natal, dont il se rapproche dans les années 90. Un temps, il ne passe rarement plus de deux semaines dans les environs, puis se fait plus présent à partir de 1997. Un vieil ami, l’entrepreneur John Silver est en phase terminale. Il l’encourage à peindre les paysages du coin et Hockney retourne à la nature, le chevalet sur une route de campagne.
En 2006, son intérêt pour sa terre d’origine s’accroît. Hockney est fasciné par le changement de saison, particulièrement le retour du printemps, auquel il ne peut assister en Californie. Il peint les variations lumineuses, observées dans les wolds – des terres élevées, non cultivées, très typiques de la campagne anglaise – sur de très grands formats. Près du tableau, on imagine facilement l’odeur du bois mouillé. Une sensation qui s’amplifie dans une autre salle, The Four Seasons.
Le livret explique qu’en 2010, Hockney fixait quatre caméras sur un véhicule, conduit sur un chemin du Yorkshire. Le résultat, diffusé sur quatre écrans pour quatre saisons est une sorte de “film cubiste, montrant différents aspects de la même scène perçue par un observateur en mouvement”. Un travail qui étire le temps, ou prouve son inexistence.
Rembrandt et irréel
Un combat contre le temps qui se retrouve sur un autre format, la photo, étudié dans les années 80, malgré l’avis défavorable de ses proches. Avant l’ère des smartphones et posts modifiés pour attirer l’attention sur Internet, l’artiste voyait déjà en le support photo quelque chose d’irréel. Pour lui, la photo manque de temps. Elle ne représente qu’une micro-seconde. Le simple geste de la regarder dure plus longtemps que la capture de l’instant. Il compare la photo – donc le selfie – avec le célèbre auto-portrait de Rembrandt. Le peintre passe des semaines, des mois à s’observer, dans une introspection poussée pour coucher sur la toile ce qu’il pense vraiment être. Ce qui prend un peu plus de temps qu’appliquer le filtre le plus adéquat. Hockney utilise ansi plusieurs photos, capturant différents moments, différents angles avant de les accoler. Ainsi, il donne une impression de réel.
Cette recherche constante de nouveaux formats, cette tentative d’annuler le diktat du temps et de l’inanité dans ses œuvres, est forcément aidée par les avancées technologiques. La dernière pièce présente des travaux réalisés sur iPad seulement. La foule est captivée devant ces tableaux mouvants, ces coups de pinceaux hypnotiques se faisant et se défaisant en boucle, à l’infini. Le mimétisme entre l’audience et l’artiste, entamée à la première œuvre est total. Cet hypnotisme, Hockney avoue sur le livre audio en avoir été victime aussi. À la découverte des tablettes, il s’est mis à traîner au lit pendant des heures. Il restait là, à dessiner, fixant une seule chose : le rebord de sa fenêtre. Une éloge de la simplicité, qu’il conclut, sur le guide audio par une ultime phrase : I do enjoy looking. Le public aussi.
David Hockney à la Tate Britain, jusqu’au 29 mai 2017