Dans un film cathartique d’une grande richesse, la cinéaste raconte le déclin d’un pays et son héritage de violence misogyne.
Ça ressemble d’abord aux coulisses d’une téléréalité. Olfa Hamrouni et ses filles Eya et Tayssir se tiennent devant nous, le visage tourné vers un miroir qui est aussi l’angle de vue épousé par la caméra de Kaouther Ben Hania. Les Filles d’Olfa,cinquième long de son autrice, nous regarde pour mieux épier son reflet.
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À l’image, c’est celui d’une famille meurtrie par la disparition de ses deux aînées (on ne saura pas tout de suite comment, et c’est moins l’issue que le processus qui importe), que le film va tenter de ressusciter le temps d’une projection. Kaouther Ben Hania convie ainsi trois comédiennes à rejoindre le trio et le tournage en cours : deux jeunes femmes pour incarner les sœurs disparues et l’actrice tunisienne Hend Sabri comme doublure de fiction d’Olfa.
On pense à Almodóvar, à Kiarostami
Le dispositif a évidemment valeur de catharsis et fait un peu de méta sur le pouvoir du jeu. Tout a lieu dans un rapport d’hybridité permanente entre le film et son tournage, le réel et la fiction. Les sœurs et la mère pleurent de revivre la douleur des souvenirs, pour mieux s’en extraire, sans doute, mais aussi pour en avoir le contrôle. On pense à Almodóvar, à la Copie conforme de Kiarostami, aux films carcéraux de jeunes filles (Virgin Suicides ou Mustang) devant ce huis clos d’artifices sororal où rien n’est laissé à son état naturel, labo d’expérimentations ou théâtre de marionnettes recouvert de couleurs, sons et effets de coupes sèches.
Un chaos qui deviendrait net
De cette accumulation répétée qui prête parfois au rire (nerveux), la cinéaste parvient à saisir toute la violence qu’Olfa fait subir à ses filles et, avec elle, celle d’une éducation, d’une société patriarcale et misogyne en héritage. Le film donne alors la sensation d’un exorcisme, d’un chaos qui, tout à coup, deviendrait net, d’une carte brouillée dont on parviendrait, à la fin, à percevoir les contours pour raconter le déclin d’un pays, la Tunisie, et de ses sœurs sacrifiées.
Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni (Fr., Tun., All., Ar. Sa., 2023, 1h50). En salle le 5 juillet.
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