En redonnant naissance au personnage de Conan le Barbare qu’il projette dans un corps féminin, Mandico fait sauter les limites de son cinéma et nous fait vivre une expérience de jubilation immense.
Un sentiment persistant irrigue toute la vision de Conann, le nouveau film de Bertrand Mandico, mage noir du cinéma français ayant déjà sacrément secoué le paysage cinématographique avec deux longs-métrages (Les Garçons sauvages, After Blue et une multitude de courts). Jamais dans un film du cinéaste, on aura autant jubilé à pénétrer et parcourir toute la richesse de l’imaginaire cinéphile du réalisateur.
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Adapté très (très) librement des récits de Conan Le Barbare, le film donne l’impression grisante de rentrer dans la chambre mentale du cinéaste. Chambre dans laquelle se déploie une orgie plastique et mythologique où se télescopent l’heroic fantasy, la comédie musicale, le revenge movie, le romantisme trash, la couleur et le noir et blanc. La très belle idée du film, à la fois formelle et structurelle, consiste à raconter l’expérience humaine de son héroïne comme une succession de petites morts et de renaissances. Une Conann aux visages multiples, interprétée à tour de rôle par Claire Duburcq, Christa Théret, Sandra Parfait, Nathalie Richard, Agata Buzek, puis enfin par Françoise Brion. Chaque actrice interprète une décennie, mais aussi une image et une partition différente de la guerrière.
Un cinéma politique
Avec une ampleur romanesque inédite et visuellement ébouriffante, le film organise la mue de son héroïne avec le corps de son personnage, mutant d’une esthétique visqueuse familière dans l’œuvre de Mandico à une plongée dans le Bronx underground des années 1980, jusqu’à un tableau dansant somptueux, en forme de parabole sur le fascisme.
Les films de Mandico ont toujours été politiques, dans leur façon d’orchestrer une fluidité des genres (les personnages masculins sont joués par des femmes, et inversement) mais aussi dans le fait de révéler la noblesse de genres jugés mineurs au cinéma. Ici, au cœur de ce romanesque amplifié, il trouve une caisse de résonance pour crier une colère et une rage nouvelles dans son œuvre.
Dans une dernière partie, presque trop lisible, mais très puissante (un dilemme macabre), le film livre une réflexion sur l’intégrité de l’artiste et son héritage. Doit-il sacrifier sa pureté au profit de l’argent ? Pur et crade, le cinéma de Mandico est un paradis sale. Il ne nous a jamais semblé autant à sa place.
Conann de Bertrand Mandico est présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2023
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