Avec La Mort de Danton de Georg Büchner, François Orsoni évoque à la manière d’un oratorio le crépuscule des espoirs de la Révolution française. Un spectacle à la fois vigoureux, poétique et fragile.
Plantée de bougies noires en signe de deuil, couverte de piles de livres et de quelques perruques poudrées en désordre, une table interminable occupe toute la longueur du plateau. Elle prend des allures de frontière et divise en deux l’espace, une scénographie minimale où les gradins destinés au public se font face. A bien l’observer, l’une de ses extrémités couverte de suie paraît carbonisée – à la manière d’une mèche qui aurait fait long feu – tandis que l’autre demeure de bois clair. La Révolution est au point mort.
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Avec La Mort de Danton, sa première pièce, écrite en 1835, Georg Büchner questionne en poète le versant intime du cruel épisode de la Terreur. Danton le prédit : “La statue de la liberté n’est pas encore fondue, le four reste rouge, nous pouvons encore nous y brûler les doigts.” Considérés comme des traîtres, ceux qui furent les artisans talentueux d’un avenir de liberté vont prendre le chemin de la place de la Révolution pour y mourir les uns après les autres sous le couperet de la guillotine.
“Aucun filtre, mais quelque chose de très brut”
Interprétée par cinq acteurs, la pièce ne compte pas moins de vingt-sept personnages. Mathieu Genet et Alban Guyon incarnent respectivement Danton et Camille Desmoulins. Jenna Thiam, Jean-Louis Coulloc’h et Brice Borg se partagent tous les autres rôles, parmi lesquels on compte aussi bien celui de Saint-Just que de Robespierre.
Cette belle idée de François Orsoni transforme la pièce en une œuvre chorale qui s’accorde aux visions de Büchner. “Dans La Mort de Danton, des prostituées font le trottoir, des charretiers se disputent en pleine rue, des ivrognes battent leurs femmes, toute la brutalité de l’existence est saisie à vif, précise le metteur en scène. Aucun filtre, mais quelque chose de très brut, d’âpre, qui me rappelle certains documentaires de Raymond Depardon.”
“Cela ne finira donc jamais ? La lumière ne s’éteindra-t-elle donc jamais ?”
La réussite du spectacle et sa modernité réside dans cette volonté qu’a François Orsoni de traiter avec autant de vigueur, de poésie et de fragilité les scènes surréalistes que Büchner attribue au peuple de Paris, en écho aux confessions saisissantes que l’auteur met dans la bouche des héros. Dites comme lors d’une italienne, certaines répliques perdent de leur effet et passent volontairement à la trappe…
Mais quand Danton craque en lançant son fameux “Cela ne finira donc jamais ? La lumière ne s’éteindra-t-elle donc jamais ?”, on demeure éternellement reconnaissant à François Orsoni d’avoir demandé à Jean-Luc Coulloc’h de sortir sa guitare pour chanter La Marseillaise à la manière de la plus douce des berceuses. Patrick Sourd
La Mort de Danton de Georg Büchner, mise en scène François Orsoni, avec Brice Borg, Jean-Louis Coulloc’h, Mathieu Genet, Alban Guyon, Jenna Thiam, du 16 février au 4 mars au Théâtre de la Bastille, Paris XIe
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