L’Ecossais versatile, connu comme le Professeur Xavier dans la franchise X-Men, était l’acteur idéal pour incarner les vingt-trois personnages de Split.
Qui est James McAvoy ? S’il est toujours illusoire – et néanmoins inévitable – de chercher à répondre à cette question en interview, la tâche se révèle particulièrement ardue avec l’acteur de Split, le nouveau film de M. Night Shyamalan. Le jeune homme de 37 ans est pourtant affable, courtois, s’excusant d’être jet-laggé et promettant de nous répondre au mieux. Il donne toutefois l’impression de ne pas être complètement présent. D’être déjà ailleurs.
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Comédien particulièrement versatile et plutôt lisse, il ne s’était jusqu’ici pas démarqué par son engagement auprès de la frange la plus créative des auteurs hollywoodiens (pas plus que britanniques d’ailleurs). Parmi ses choix, deux lignes-forces se dessinent : une attraction, à ses débuts du moins, pour les drames romantiques en costumes (Bright Young Things ; Jane ; Reviens-moi ; Tolstoï, le dernier automne…) et un goût, plus récent, pour le cinéma fantastique (Le Monde de Narnia, X-Men, Wanted, Docteur Frankenstein, Split). Mais il est difficile de lui attribuer une persona bien définie. Quelque chose dans sa présence est toujours labile, glisse entre les rôles.
Ne serait-ce justement pas pour cette labilité, que M. Night Shyamalan lui a confié le rôle principal – ou plutôt les rôles principaux – de Split, son nouveau film sur l’enlèvement de trois jeunes filles par un psychopathe ? “J’aime faire des choix de casting contre-intuitifs, justifie le réalisateur. Par exemple, si je dois trouver un acteur pour jouer un personnage sombre, je vais aller vers quelqu’un qui dégage un grand sens de l’humanité. C’est le cas avec James. Il a cette forme d’élégance et d’empathie chevillée au corps. On se dit tout de suite en le croisant que c’est un chic type, vous voyez ?” On voit tout à fait.
Elevé par ses grands-parents dans une cité HLM près de Glasgow
Ecossais de naissance, ce dont atteste un accent prononcé et néanmoins intelligible, James McAvoy est élevé par ses grands-parents, dans une cité HLM près de Glasgow. Le cinéma, à l’époque, ne l’intéresse pas beaucoup : “Je regardais surtout des comédies, je me souviens par exemple de Planes, Trains and Automobiles de John Hughes. Mais je n’envisageais pas du tout d’en faire mon métier. A l’époque, je me voyais plutôt prêtre. Ou marin dans la Royal Navy”, se souvient-il.
Deux sacerdoces pour s’extraire du monde, deux métiers où solitude et camaraderie s’entremêlent. On est donc, à l’époque, assez loin d’un destin de star planétaire. C’est le hasard d’une visite dans son lycée d’un réalisateur, David Hayman, qui le conduit sur un plateau de cinéma, à 15 ans, dans un film oublié d’à peu près tout le monde, The Near Room. On peut en voir quelques extraits sur YouTube figurant le parfait lad – accent à couper au couteau, peau d’albâtre et visage émacié – en train de s’entraîner à boxer tout en citant Mohammed Ali.
Il continue par la suite à jouer régulièrement, principalement à la télé (on le remarque dans Band of Brothers) et “en dilettante” de son propre aveu. Jusqu’à ce que l’obtention de son diplôme d’art dramatique à la prestigieuse Royal Scottish Academy of Music and Drama à 21 ans (en 2000), ne lui fasse comprendre qu’il a devant lui, à sa portée, un nouveau sacerdoce. Il “suffit” de travailler.
Du chic type au Professeur Xavier
Alors il va s’évertuer à être le chic type que les cinéastes voient en lui, se faisant progressivement un nom, notamment au théâtre (passage obligé en Angleterre), ou dans les films qui ne sortent guère de la sphère britannique (comme Bright Your Things de Stephen Fry en 2003). C’est dans la deuxième moitié des années 2000 qu’il décolle véritablement, se faisant tour à tour faune dans Le Monde de Narnia, conseiller malgré lui d’Idi Amin Dada (Le Dernier Roi d’Ecosse), amant de Jane Austen dans Jane ou super assassin dans Wanted.
Et puis bien sûr, en 2011, vient le rôle pour lequel il est le plus connu : Professeur Xavier, patron spirituel des X-Men, dont il joue la jeunesse dans la prélogie de Bryan Singer. Son élégance très britonne, ses manières éduquées servent idéalement cet emploi de mutant le plus humaniste du monde, Saint homme à superpouvoirs.
Tout change avec son dernier film. Dans Split, il joue Dennis, une brute psychorigide. Et Patricia, une vieille rombière. Et Hedwig, une gamine de 9 ans pas très futée. Et Barry, un fashion designer sympathique. Et une flopée d’autres personnages (vingt-trois en tout, mais seulement cinq de façon consistante) qui ont la particularité de vivre tous dans un seul corps : celui de Kevin, dont on sait finalement peu de choses si ce n’est qu’il fut abusé enfant.
La construction de son personnage dans Split
Pour écrire ce personnage victime d’un trouble dissociatif de l’identité, la maladie mentale la plus féconde de l’histoire du cinéma – on ne compte plus de Psychose à Fight Club, en passant par Pulsions et la série United States of Tara, les œuvres qui ont fait leur miel de ces personnes hébergeant plusieurs personnalités –, Shyamalan s’est inspiré du plus extrême des cas cliniques connus : Billy Milligan, un violeur américain aux vingt-trois facettes, arrêté dans les années 1970.
Personnage par définition labile, abusé et abuseur, provoquant l’empathie autant que l’effroi, il est d’une ambiguïté folle. Il est comme le Professeur Charles Xavier (par sa capacité à animer un incessant ballet de personnes dans sa tête) qu’on aurait bouturé avec Magneto (pour la hargne et l’esprit de vengeance).
“C’est angoissant et terriblement excitant de jouer sur autant de tableaux”
Comment aborde-t-on un tel rôle, fabuleux véhicule pour n’importe quel acteur soucieux de montrer sa technique ? “C’est angoissant et en même temps terriblement excitant de jouer sur autant de tableaux dans un seul film”, répond humblement James McAvoy.
“Le plus délicat n’était pas de se préparer – n’ayant pu rencontrer aucun patient atteint de cette maladie, j’ai fait mes recherches sur YouTube, où plusieurs publient des carnets intimes – ou de trouver comment interpréter – on l’a fait assez facilement avec Night en préparation –, non, le plus délicat était de passer de l’un à l’autre, parfois très rapidement. Notamment dans la scène où je les joue tous d’un coup : c’est un des trucs les plus difficiles que j’aie jamais eu à faire. Il valait mieux ne pas me parler juste avant.”
Admiratif de la direction d’acteurs de M. Night Shyamalan
Ce genre de performance baroque peut vite se révéler pénible sous la coupe de comédiens trop précieux, ou de réalisateurs trop pusillanimes. Le coup de force ici est d’y être allé à fond, over the top, jouant avec le grotesque et le ridicule, comme souvent chez Shyamalan d’ailleurs. “Il faut une foi absolue pour s’engager sur un tel film”, confie l’acteur.
“Habituellement, plus que le réalisateur, ce qui compte pour moi est le scénario et l’intérêt du personnage. Mais là, avec ce matériau, je n’aurais pas accepté de m’abandonner à n’importe qui. Night n’est jamais meilleur que lorsqu’il écrit lui-même ses scénarios, et je savais qu’il saurait maîtriser chaque détail.”
On sent McAvoy sincèrement admiratif lorsqu’il évoque les spécificités de la direction d’acteur sur ce film. “Certains cinéastes, je ne nommerai personne, vous font tellement improviser qu’on se demande pourquoi on n’est pas crédité comme coscénariste… Mais Night souhaite que la moindre virgule soit respectée. J’ai adoré cette exigence d’écriture qui permet de se libérer du reste, d’être en fin de compte plus créatif.” En résulte un morceau de bravoure fascinant, car toujours sur le fil.
James et Night auraient pourtant pu ne jamais travailler ensemble. C’est en effet Joaquin Phoenix qui, initialement, devait tenir le rôle, signant sa troisième collaboration avec le réalisateur de Signes et du Village. Mais pour une raison inconnue (financière ? artistique ? agenda ?), il s’est désisté au dernier moment. Shyamalan trouva alors son remplaçant lors d’une soirée au Comic Con de San Diego, où celui-ci était présent en tant que Professeur X du X-Men: Apocalypse.
“Ce sont ses cheveux, ou plutôt son absence de cheveux (il les perd dans cet épisode – ndlr) qui m’a permis de faire tilt, se souvient M. Night Shyamalan. Je ne l’avais jamais vu comme ça et j’ai su alors que j’avais trouvé mon comédien. Je fais en outre de longues prises, et que James ait une formation d’acteur de théâtre était un plus.”
L’Ecossais se souvient, lui, qu’il avait un certain niveau d’alcool dans le sang lors de cette soirée, et ne s’attendait pas du tout à recevoir le scénario de Split quelques jours plus tard. “Je vis à Londres, pas à Los Angeles, et je n’ai pas l’habitude de faire la chasse aux réalisateurs dans les événements mondains, au grand dam de mon agent. Or, pour une fois que j’allais en Californie, il a fallu que je rencontre Night et décroche un des meilleurs rôles de ma carrière. Je me dis que ça a parfois du bon ces cocktails.” Ça tient finalement à peu de choses, un destin.
Split de M. Night Shyamalan, avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Betty Buckley (E.-U., 2017, 1 h 57), en salle le 22 février
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