A Manchester, deux groupes entretiennent à leur façon le culte du mystère et des frontières floues. Money et No Ceremony/// dégainent des albums bouleversants de beauté et de fausse froideur.
Ils s’appellent No Ceremony/// et Money, partagent quelques lettres et une ville d’origine au passé bien connu, Manchester. C’est en effet dans la grise cité du Nord de l’Angleterre que les deux jeunes collectifs ont grandi, bâti leurs disques et surtout leur mystère – une habitude pour tous les groupes du coin, qui semblent prendre un malin plaisir à brouiller les pistes, installer le flou et rendre fous ceux qui chercheraient à les suivre.
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D’un côté, donc, Jamie Lee et ses trois complices, réunis sous le nom de Money. Un patronyme bien mal choisi tant la bande se soucie bien plus d’harmonies vocales célestes que d’espèces sonnantes et trébuchantes. D’eux, au départ, on ne savait rien – aucune photo, pas même un prénom. De leurs inspirations, un peu plus si l’on s’en tenait aux énigmatiques phrases prônant la vie après la mort postées çà et là par un groupe qui, jusqu’au dernier moment, refusait obstinément de se montrer. Un premier ep avait un peu froissé le voile et c’est aujourd’hui avec The Shadow of Heaven que Money finit de le lever – ou plutôt de le maintenir, tant les contours de ce premier album paraissent impossibles à définir.
Il y a quelque chose de WU LYF chez eux, un goût poussé pour l’extrême, le grandiloquent, le trop grand. Mais contrairement au gang sans foi ni loi d’Ellery Roberts, le groupe a remplacé toute velléité de baston, l’esprit “nous contre le reste du monde”, par un piano et des guitares éthérées et flottantes, de longues plaintes à la beauté sidérante qui tirent les larmes plutôt que des balles réelles (Letter to Yesterday, Cruelty of Godliness, Cold Water). On retrouve tout l’héritage de Manchester dans The Shadow of Heaven, un passé pourtant digéré que Money a adapté à son présent de jeune groupe anglais aux idéaux tenaces, trop souvent brisés. Un trait partagé avec No Ceremony///, qu’il rejoint dans le joyeux club mancunien des dépressifs cryptiques.
No Ceremony/// : trois barres obliques pour deux garçons et une fille dont on connaît à peine les identités et l’histoire. Le trio n’a pourtant aucun désir de les cacher. “Le plus important, c’est la musique. Le mot ‘mystère’ n’a jamais été évoqué entre nous. Quand on a formé le groupe, on voulait un espace de création sans problèmes d’ego, sans autre chose que la musique. On ne savait ni comment se comporter en tant que groupe, ni à quoi on voulait ressembler, on ne s’en souciait guère. On savait en revanche où on voulait aller d’un point de vue musical. On trouvait absurde que les gens veuillent savoir qui se cachait derrière le groupe avant même d’avoir écouté notre musique”, se plaît à asséner Kelly lorsqu’on dérive un peu sur cette aura impénétrable. Là aussi, le discours n’est pas sans rappeler celui de WU LYF à ses débuts, mais la comparaison s’arrête net.
Chez No Ceremony///, on ne hurle pas, on ne s’enflamme pas, mais on fait tout pour perturber les journalistes (“Genre : anonymous” était écrit à côté de leur nom sur un programme de festival cet été) et pour danser sur les cendres d’un spleen dont Manchester a le secret. “C’est impossible de ne pas être influencé par cette ville quand tu passes ton temps à avoir l’impression de vivre dans une vidéo de Joy Division”, rigole le maître ès beats du groupe. Aussi schizophrénique que ses aînés – New Order en particulier –, No Ceremony/// excelle dans l’art de la rave sous antidépresseurs, une musique faite de larmes et de dance sous ecstas, de titres sur lesquels on ne sait plus si on doit danser ou pleurer – maintenir le flou donne de sacrées libertés.
De ce Dance Machine 93 sous Tranxène, enregistré dans une vieille bâtisse industrielle avec l’aide de Joey Santiago des Pixies (Heartbreaker) et de James Vincent McMorrow (Awayfromhere), ressort un sentiment de libération précieux, où les beats agressifs et glacés accompagnent la mélancolie du piano et la douceur des voix. “Quelqu’un a décrit notre musique comme un ‘chagrin euphorique’, confie Kelly. C’est vrai qu’on est très portés sur la libération par la musique. D’ailleurs, la première chose qu’on a faite quand on a terminé notre album a été de le remixer entièrement. On a passé tellement de temps à construire ce disque qu’on a eu besoin de le déconstruire. Ça peut paraître étrange mais c’est très cathartique d’être si brutal avec sa propre musique.” De No Ceremony/// à Money, Manchester n’est décidemment pas prêt à révéler tous ses mystères.
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