Doucement mais sûrement, la carrière du rappeur sétois Demi Portion décolle enfin. Son nouvel album “2 Chez Moi” fait partie des plus grosses ventes hip-hop de 2016. Rencontre avec un type attachant et très proche de son public pour parler de Scarface, de Fabe, et de sa ville d’origine.
Tu as déjà une longue carrière derrière toi, mais le grand public ne te connaît pas tant que ça. Ta carrière pourrait-elle être un exemple de persévérance ?
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Demi Portion – Persévérance, c’est le mot d’ordre. Mais d’un autre côté, on a longtemps été dans notre monde et ça nous a fermé des portes. Quand t’es seul, pas forcément bien entouré, que t’es jeune et que t’as pas les mailles, c’est compliqué de percer. J’ai côtoyé de grands rappeurs comme Fabe. En les regardant, je me disais que c’était facile d’être indépendant, je ne me rendais pas compte de tout ce qu’il se passait derrière. Résultat, pendant pas mal d’années, on a eu l’impression d’être seuls face à un grosse industrie. Alors qu’il fallait juste s’entourer et faire évoluer le projet.
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Tu as l’impression de prendre une revanche ?
La revanche, c’est une notion de fou, qui veut dire que t’as pris un KO. Je me suis juste aperçu qu’il y avait de la place pour tout le monde, pour tous les choix artistiques. Le rap s’ouvre beaucoup, alors qu’il pouvait faire peur auparavant. Aujourd’hui, une grand-mère peut savoir qui est Maître Gims. C’est bien.
L’album s’appelle 2 chez moi, tu fais les freestyles depuis chez toi, tu bosses de chez toi…
C’est un confort. Pas forcément technique, mais je peux bosser un son en caleçon, y revenir tranquille le lendemain, pas de pression… A Paris, t’es à huit dans un studio, tout le monde donne son avis, tu paies cher, tu ne peux pas revenir dessus le lendemain. Quand j’ai rencontré Fabe et qu’il m’a hébergé pendant un mois, j’ai vu comment il travaillait : un micro chez lui, du temps pour passer chez Cut Killer pour traiter les voix… T’es plus libre. J’ai toujours fait mes projets comme ça, je les mixais un peu à l’arrache. J’écris, j’essaie de ne pas refaire ce que j’ai déjà fait. Ceux qui veulent suivre suivent, ceux qui veulent acheter achètent, point barre.
Justement, comment t’es-tu lié d’amitié avec Fabe ?
Il est venu à Sète en concert en 1999, pour jouer à un tremplin auquel je participais. Je ne savais pas vraiment ce qu’il faisait, mais en tout cas, je foire le show à cause d’une tempête. Mais il m’a proposé d’aller chez lui à Paris, il vivait avec son amie, China Moses. J’étais le petit gosse, c’était un grand frère pour moi, et il m’a beaucoup appris.
Tu es très attaché à Sète ?
Ouais, je suis né là-bas. J’ai un côté rappeur local, c’est vrai. On a toujours sorti nos projets pour que les gens de chez nous les écoutent. Tous les grands rappeurs sont passés à Sète, il y avait une vraie scène hip-hop de 1998 à 2002. Et puis ça s’est arrêté. Mais je me sens bien là-bas. Il y a le bateau qui arrive du Maroc. C’est une ville populaire, ça parle italien, espagnol, portugais, arabe, turc. Tu vas au Cap-d’Agde, il n’y a plus ça. Sète, c’est à l’ancienne, très coloré. J’ai essayé de vivre ailleurs, mais rien à faire.
Il y a quelque chose d’artisanal dans ta manière de travailler, non ?
Je ne sais pas si on peut qualifier ça d’artisanal. Je ne veux juste pas faire d’excès, ou changer. Pas de délire de transformation, de nouveau discours… Non. On veut rester comme on est.
Je crois savoir que le décès de ton père a impacté ta musique…
J’ai trois petites sœurs, et je perds mon père à 15 ans. C’est la vie, mais du coup, le cursus scolaire devient pitoyable, catastrophique. Je n’avais que le rap pour essayer de faire des efforts. J’ai gardé ce rap pour cacher mes lacunes et cacher cette tristesse.
Tu cites beaucoup de rappeurs français dans cet album, que ce soit Kery James, Lino, Les Sages Po, Assassin…
Tu peux tenter de faire du Gang Starr, mais tu n’auras pas les phases de Guru. Donc les seuls clins d’œil que je fais, c’est pour le rap français. Aujourd’hui, les rappeurs ont peur de parler des autres rappeurs. Mis à part les feats, les collaborations, les fausses photos, les fausses couv, les fausses radios. Ca me saoule que sur leur propres projets les types aient peur de parler des autres. Moi j’aime parler de Fabe, ou de La Cliqua même si c’est pas mes gars. C’est comme le mot hip-hop. Cela fait deux ou trois ans que je n »ai pas entendu ce mot sur un disque. Personne ne veut plus le dire. C’est “rap”. C’est “break”. C’est “graff”. Mais plus “hip-hop”. On cloisonne tout.
Impossible de parler de Sète sans parler de Georges Brassens. C’est un chanteur qui a imprégné ta manière d’écrire ?
Je l’ai découvert très tard, en 2003. Je ne l’écoutais pas chez moi, ma mère était plutôt dans les trucs du bled genre chaâbi. Il a eu un impact sur mon écriture notamment pour les rimes embrassées. Et vu que mon cursus scolaire est ce qu’il est, sa façon de conjuguer les verbes m’a marqué aussi.
Sur le morceau La Vie de rêve, tu répètes “Fuck la vie de rêve”. Qu’est-ce que cela veut dire ?
“La vie de rêve”, c’est cette fameuse phrase de Tony Montana dans Scarface. Mes amis étaient pas mal à fond là-dessus, je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. C’est un film qui a pris la tête de certains de nos jeunes. Tu peux avoir une vie de rêve au bord de la mer, ou je sais pas, moi, dans une prairie. En tout cas, je pense que le bonheur est ailleurs que chez Tony Montana.
Demi Portion – la Vie de rêve
Demi Portion sera en concert à La Cigale à Paris le 16 février.
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