Outrageusement pop, fort en son et en mélodies, originaire de Versailles… l’histoire se répète avec Saint Michel, groupe français surdoué que l’on a rencontré à Londres en compagnie d’un musicien aussi fameux qu’inattendu !
Toujours se méfier des choses en apparence légères. Un passage en coup de vent au-dessus du premier album des Français de Saint Michel et on n’apercevra rien sans doute des reliefs subtils et des détails d’ornement qui sautent aux yeux lorsqu’on s’y attarde. Un raccourci du pedigree des deux jeunes garçons et ce sera encore pire : “nouvelle sensation electro-pop en provenance de Versailles”, bâillements de lassitude garantis.
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Philippe Thuillier, 28 ans, et Emile Larroche, 19 ans, se souviennent à peine du débarquement en trombe depuis le 78 des locomotives de la French Touch (Gopher, De Crecy, Air, Phoenix…) et se désolent par avance qu’on veuille les emprisonner dans le wagon de queue. Si cousinage ou affinités musicales il y a avec les glorieux anciens, cela est avant tout le fait de références communes, nullement celui d’un particularisme régional. Emile tient d’ailleurs à préciser qu’il a posé ses baskets pour la première fois à Versailles il y a quatre ans, lorsqu’il a rejoint le groupe Milestone, ancêtre de Saint Michel dont Philippe était le leader. Le même Philippe qui au contraire s’amuse à exhiber toute la panoplie versaillaise (“Je suis issu d’une famille de militaires, catho et de droite, j’ai fait les scouts d’Europe et une préparation à Saint-Cyr”) pour mieux la lacérer et affirmer son caractère séditieux. “Chez moi, on est ingénieur ou rien. La musique, c’était éventuellement un hobby du dimanche après la messe.”
En pied de nez ultime aux uniformes familiaux, il choisira une formation d’ingénieur… du son. En comparaison, Emile est un rebelle en peau de lapin, qui décide d’étudier la guitare jazz à 12 ans, quand sa famille (“intellos, parisiens, de gauche”) ne jure et ne vit que par le théâtre. “La rébellion aurait été de faire polytechnique”, plaisante celui qui se définit comme un “gentil vilain petit canard”. L’argumentaire presse de leur album le souligne assez justement, il y a en Saint Michel un côté Amicalement vôtre, Brett Sinclair et Danny Wilde, et la dissemblance des protagonistes aura accéléré paradoxalement leur union lorsque Milestone se mit à battre de l’aile.
Philippe : “On a fait des disques autoproduits mais aucun label ou éditeur ne s’est montré intéressé. Au bout d’un moment, personne ne venait plus aux répétitions, le seul qui se pointait, enthousiaste, c’était Milou. Moi, j’étais le fondateur du groupe, le plus âgé, Emile était le dernier arrivé, le plus jeune. Entre nous, il n’y avait que des cons, et je précise que j’en étais le roi.” Milestone visait haut en s’étalonnant sur des groupes aussi culminants que Radiohead ou Sigur Rós, la descente sera d’autant plus raide pour Philippe. Il faudra toute la fougue et la jeunesse d’Emile pour lui redonner le goût de repartir en altitude, mais avec cette fois un matériel plus adapté. “Dans Milestone, les trois guitares tentaient des formes hypercompliquées. J’ai redécouvert au contraire la simplicité en commençant à composer avec Emile, à utiliser des synthés. On avait un batteur hyperfort, qui sortait d’une des meilleures écoles de jazz. On l’a remplacé par une boîte à rythmes.”
Un morceau baptisé Katherine, né au moment de la transition entre les deux groupes, attire enfin l’oreille d’un producteur qui les encourage à poursuivre dans cette voie et finance un premier ep, I Love Japan, dont l’opalescente et séduisante Katherine est la reine. Expédié dans un prestigieux studio bruxellois trop grand pour lui, le duo perd un peu les marques qu’il avait commencé à dessiner et rebrousse chemin pour finalement atterrir dans la chambre de Philippe, où sera fabriqué “en caleçons” l’essentiel de Making Love & Climbing.
Philippe et Emile abandonnent toutefois leur tanière de temps à autre pour assurer des premières parties (Sebastien Tellier, Revolver) et l’album s’enrichira de ces allers- retours et pauses forcées, d’où chacun revient avec d’autres envies et des idées toujours plus brillantes ou saugrenues. “Si on avait fait le disque pendant trois mois d’affilée, cela aurait donné quelque chose de plus homogène, mais on a des goûts plutôt éclectiques, donc ça tombe bien.” Cet éclectisme qui les autorise à citer dans la même phrase Aphex Twin et Nick Drake, Apparat ou les Beatles, les a conduits également à la rencontre d’un musicien plus coté chez les sexagénaires rangés du rock que chez les hipsters : John Helliwell, saxophoniste du groupe prog-pop phare des seventies, Supertramp.
Depuis Digital Love de Daft Punk, qui lui rendait un hommage appuyé en utilisant son fameux son de Wurlitzer, le mot Supertramp n’est toutefois plus une insulte qu’on se lance entre gens certains de leurs goûts. Aucun des deux jeunots de Saint Michel n’était pourtant né à l’époque de Crime of the Century ou de Breakfast in America, deux des best-sellers des Anglais. Mais à leur envie d’ajouter des solos de saxo “typiques des productions 70 et 80” sur certains titres est venue se greffer celle de leur producteur de faire appel à la Rolls du genre. Une fois le contact établi, Helliwell écoute les maquettes de Saint Michel et accepte le défi, lui qui ne joue désormais plus que dans la formation de jazz qui porte son nom, en attendant une éventuelle réactivation du mastodonte qui a fait sa fortune. Lors d’une seule session, il va ainsi poser son instrument cossu sur une demi- douzaine de chansons, et Saint Michel se paiera le luxe de ne garder qu’une seule des parties jouées par leur invité, sur le morceau le plus ouvertement “classic pop” de l’album, Ceci n’est pas une chanson, qui en est pourtant une sacrée.
Le duo, assez fier d’un tel parrainage, nous propose d’organiser une rencontre à Londres avec Helliwell, et c’est dans un restaurant français que l’on retrouve ce gentleman anglais, nullement froissé par l’insolence de ces gamins qui lui ont coupé le sifflet au mixage : “J’ai toujours eu la même philosophie avec les gens avec lesquels j’ai travaillé, qu’ils soient célèbres ou non, dit cet homme qui pèse plus de cent millions de disques vendus avec son groupe. Si ça fonctionne, c’est bien ; si ça ne fonctionne pas d’après eux, je n’ai rien à redire, je reste à leur service, je ne veux pas m’imposer juste pour la satisfaction d’être omniprésent.” Philippe : “Ce qu’on a gardé de John est arrivé tout à la fin de la séance, quand tout le monde était un peu rincé. Il a parfaitement compris ce qu’on cherchait sur ce morceau. Le son de John n’est pas un son de saxophone lambda, c’est LE son de John Helliwell. C’est maîtrisé, très précis, avec une grande amplitude mélodique, et c’est ce qu’on voulait pour cette chanson.”
En dehors de cette pige pour le moins cocasse, et de la présence au mixage du vétéran Alex Gopher, tout le reste sur Making Love & Climbing est l’œuvre de ces deux impétueux hyper intelligents, joueurs et malins. De la pop en apesanteur pour cosmonautes en dérive (Bob) à l’effervescence étoilée de Unicorn, du meilleur morceau de Phoenix qui ne soit pas signé Phoenix (Sticky) au folk modifié en symphonie de poche (77), de la sexy Lucie à la rêveuse Katherine, la palette qu’ils dévoilent en seulement onze chansons occupe déjà l’espace de plusieurs continents.
Et ce n’est là qu’une esquisse, s’empresse de tempérer Philippe : “Notre ambition dépasse largement la musique que l’on fait aujourd’hui. J’aimerais que Saint Michel évolue vers des choses complètement inattendues, qu’on fasse un disque avec un orchestre symphonique, ou un truc avec un mec au fin fond du Ghana, un album avec une tribu amazonienne… J’aimerais qu’on fasse des trucs innovants, tarés, qu’on élargisse notre horizon au maximum.” Dans cette France pop des chapelles étriquées et de l’autosatisfaction cynique, son utopie bardé d’enthousiasme ouvre, on peut l’espérer, un boulevard à Saint Michel.
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