Directrice de la campagne de Trump pour la présidence des Etats-Unis, Kellyanne Conway est désormais sa conseillère. Elle est aussi à l’origine des “alternative facts”, ces mensonges d’Etat qui donnent un tour orwellien à la communication de la Maison Blanche.
Kellyanne Conway ? C’est la papesse des “alternative facts”, la fameuse expression de son invention. Des mensonges faits Maison Blanche, qu’elle pond au kilomètre. Dans sa dernière apparition télé, pour justifier le décret antimusulmans, la conseillère du Président a rappelé à la mémoire des Américains cet attentat terroriste commis dans le Kentucky, “le massacre de Bowling Green”. Seul détail, l’odieuse attaque n’a existé que dans sa tête.
“La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force”, disait le slogan du ministère de la Vérité dans 1984. Kellyanne Conway serait aussi à l’aise chez Orwell qu’elle l’est chez Trump. Cette roublarde des plateaux télé, qui a fêté son cinquantième anniversaire le jour de l’investiture, est devenue une porte-parole officielle du mensonge d’Etat.
Conway, c’est de la magie noire. Harry Houdini attrapait les balles avec sa bouche ? Elle transforme Trump en humble serviteur du peuple, qui a gagné les élections “par un raz-de-marée”. David Blaine s’enfermait quarante-quatre jours dans une cage en Plexiglas ? Conway tient sans broncher quarante minutes face à Rachel Maddow de MSNBC.
Un ton impassible de répondeur Pôle emploi
Les intervieweurs ont beau lui brandir la réalité sous le nez, Conway réplique avec courtoisie, déminant les interrogations sur le racisme de l’administration ou le sexisme de son patron. Son débit est très particulier : une cadence souriante et impassible de répondeur Pôle emploi. C’est frustrant pour la personne en face, qui s’énerve face à un mur tout rose et tout blond. Malgré quelques boulettes trop dures à avaler, ses approximations sont en général parfaitement dosées, avec ce qu’il faut de saupoudrage statistique.
Conway a repris les rênes de la campagne de Trump en août dernier. Au même moment, Steve Bannon était nommé conseiller spécial du Président. Le remaniement de la dernière chance. La campagne partait en sucette. Trump venait d’insulter les parents musulmans-américains d’un soldat mort en Irak. Il paraissait hors course. Conway est bombardée directrice de campagne.
“Ne vous y trompez pas ; je suis un homme, en fait”
Un job instable : Trump en a déjà viré deux avant elle. C’est la première femme à ce poste chez les Républicains. Elle n’en fait pas une maladie. “Je suis dans ce business d’hommes depuis des décennies, dit-elle à un journaliste du New Yorker qui l’a suivie en campagne. J’ai compris très tôt qu’il y avait de la place pour la passion, pas pour l’émotion. (…) Ne vous y trompez pas ; je suis un homme, en fait.” L’alchimie opère. Avec psychologie, Conway ose dire au boss quand il déconne sans qu’il le prenne trop mal.
En 1995, elle crée son institut de sondage et développe une niche : le vote des femmes
Diplômée en droit et sciences politiques, Conway est une talking head de ce type particulier, blonde et d’extrême droite, qui a bourgeonné sur les écrans à partir des années 1990. Conway combattait alors la politique de Bill Clinton. Elle portait des power suits, comme Dana Scully dans X-Files, et entretenait une permanente. En parallèle de ses apparitions télé (1 200 au cours de sa carrière, s’étonne Cosmopolitan), Conway crée son institut de sondage en 1995, The Polling Company/Woman Trend, et développe une niche : le vote des femmes.
Le job de Conway, armée de son éloquence et de ses enquêtes d’opinion, est d’adoucir l’image de brutes des Républicains auprès des soccer moms, les mamans de banlieue, et de répondre à leurs aspirations. A elle le “Who’s Who” républicain, dont le vice-président, Mike Pence, qui a acheté ses services ces dernières décennies, mais aussi certains puissants groupes de pression, comme la National Rifle Association ou le groupe anti-avortement Family Research Council.
Sa méthode : manipuler quelques rapports, noyer le poisson et changer de sujet
On ne pourra pas dire que Conway refuse les challenges. Parmi les politiciens qu’elle a aidés figurent de nombreux cas désespérés. Prenez Todd Akin, en 2012, le plus gros buzz média de Conway d’avant l’ère Trump. Elle sort du pétrin ce représentant du Missouri qui, en plein débat national sur l’avortement, s’est empêtré dans la défense du concept de “viol légitime”.
Akin avait monté une histoire bizarre de “sperme naturellement rejeté par les ovaires des victimes de viol” : son but était d’interdire le droit à l’avortement en toutes circonstances. Conway fait de son mieux pour défendre son client sur CNN, manipulant quelques rapports et chiffres, allumant des contre-feux, notamment le cas de “milliers de petites filles assassinées à la naissance aux Etats-Unis” parce que nées filles. Elle appuie sa démonstration d’une fausse citation tirée d’une vraie étude.
Le présentateur de CNN profite d’une coupure pub pour vérifier la source puis confirme en direct que Conway a tout inventé. Peu importe : la gêne dure à peine quelques microsecondes. Conway l’interrompt, noie le poisson et change de sujet (malgré ces efforts, Akin n’a pas été réélu à la Chambre des représentants).
En 2015, elle travaille pour le réactionnaire texan Ted Cruz
Quant au twitteur en chef, la rencontre a lieu en 2006, juste avant que celui-ci relance sa carrière avec le show The Apprentice. Coup de foudre professionnel, pour Trump en tout cas. Les Conway achètent un appartement à Manhattan dans la Trump World Tower et Trump lui commande un sondage quand il songe à devenir gouverneur de New York (il laissera tomber). Mais quand, en 2015, Trump l’informe de son intention de se lancer en politique après des années d’atermoiements, Conway refuse de monter dans le train.
Elle pensait que Trump se foutrait de ses enquêtes d’opinion, n’écouterait que lui-même, et elle s’inquiétait d’écorner son image. En fait, Conway proposera ses services à tous les autres candidats de la droite, sauf Trump, pour atterrir chez le réactionnaire texan Ted Cruz. Sa campagne sera vite écrasée, comme les autres, par le panzer Trump. Et Conway se ralliera, malgré plusieurs piques lancées quand elle bossait pour l’adversaire et avouait ne pas être fan de son style.
Quand Trump a traité l’actrice Rosie O’Donnell de “truie” et Arianna Huffington de “laideron dedans et dehors”, Conway a pudiquement tiqué : “Je n’aime pas trop les insultes ; c’est peut-être la maman en moi qui parle.” La communicante s’est adaptée depuis.
Avec son sens de la stratégie, Conway établit sa position au palais, sans forcer la main de Trump, qui déteste qu’on le commande. Elle le servira comme “une conseillère discrète, qui aidera le Président à toujours mieux communiquer avec l’Amérique”.