Plus le temps avance et plus « La La Land » et ses 14 nominations sont menacés par « Moonlight », un film qui, dans le contexte actuel, serait un message politique fort envoyé par l’industrie hollywoodienne. Voici les trois raisons pour lesquelles le film de Damien Chazelle pourrait être battu par celui de Barry Jenkins.
Il y a trois ans, le journaliste américain Mark Harris résumait la course aux Oscars avec la théorie dite du « Balls Argument » :
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« Si les votants de l’Académie ont des couilles, ils donneront l’Oscar du meilleur film au film X. Dans le cas contraire, ils le donneront au film Y. (…) X étant un film sombre, cynique, existentiel ou nihiliste, physiquement ou émotionnellement violent, interdit aux moins de 18 ans et quelque peu sauvage, type Raging Bull, Le Parrain, Pulp Fiction et Brokeback Mountain. Tandis qu’un film Y est plus consensuel, prône un doux message désespérément anodin … Quand il ne vous dit pas que tout ira bien, il aborde des sujets importants avec des haussements d’épaules philosophiques assez attendus, type Des gens comme les autres, Danse avec les loups, Forrest Gump et Collision. »
Si la bataille qui s’annonce chaque jour avec plus de force entre Moonlight (film X) et La La Land (film Y) ne peut absolument pas se résumer à cette binarité, il est évident que les deux films s’opposent en bien des aspects. Passé l’euphorie populaire de la sortie de La La Land, des voix se sont élevées pour critiquer un film qu’on ne semble pas avoir le droit de ne pas aimer, comme le résume avec humour cette vidéo du Saturday Night Live, des voix qui lui préfèrent Moonlight. Voici les trois raisons qui feront peut-être que, malgré ces 14 nominations, un record depuis Titanic, La La Land perdra l’Oscar de meilleur film au profit de Moonlight.
https://www.youtube.com/watch?v=7U_JN4jQ-mk
#OscarSoWhite
On le sait, la question de la représentation des Afro-Américains et plus généralement des minorités à l’écran est un éternel débat outre-Atlantique. Ces dernières années, les Oscars ont beaucoup été critiqués pour leur manque de diversité. Mais le cru 2017 est assez bon de ce côté-là puisque, dans la catégorie meilleur film, 4 films (Lion, Les Figures de l’ombre, Moonlight et Fences) sur 9 sont centrées sur des problématiques et dotées d’un casting représentant des minorités, Denzel Washington est nommé en meilleur acteur, Ruth Negga en meilleure actrice, Mahershala Ali et Dev Patel en meilleur second rôle masculin, Viola Davis, Naomie Harris et Octavia Spencer en meilleur second rôle féminin et Barry Jenkins en meilleur réalisateur, pour ce qui est des catégories principales.
Il serait assez décevant que cette diversité ne se reflète pas dans le palmarès. Si les catégories de meilleurs acteurs ne devraient pas échapper à Isabelle Huppert ou Emma Stone et à Casey Affleck, ils resteraient les seconds rôles (un lot de consolation), l’Oscar de meilleur réalisateur et, la récompense suprême, celui de meilleur film. Or, de semaine en semaine, Moonlight s’affirme comme le seul film à pouvoir contester à La La Land cette récompense. Le film de Barry Jenkins devient en quelque sorte le porte-étendard des trois autres films face à l’œuvre la plus blanche parmi les nominés, comme n’a pas manqué de le remarquer la twittosphère :
N’empêche, une année où plusieurs films avec des acteurs noirs sont nominés, c’est La la Land, le film le + white POSSIBLE, qui rafle tout.
— And fly. ???? (@RideOfSongs) 1 février 2017
Just saw La La Land. Such a brave film about well-off talented pretty white people effortlessly achieving their career goals.
— David C Bell (@MovieHooligan) 5 février 2017
La La Land would be 3000% better if Ryan Gosling’s character was black instead of a douchey white guy who decided jazz is his ‘thing’
— bry your eyes mate (@BryonyCloud) 4 février 2017
Même s’il est réducteur de dire que La La Land est un film de petits Blancs, il est vrai que les personnages noirs ne sont présents qu’en toile de fond et sont complément dévorés par les deux personnages principaux, comme tous les personnages du film, d’ailleurs. La comédie musicale est également attaquée sur la qualité de ses chants et des ses chorégraphies mais surtout sur sa vision du jazz. Dans son article « La La Land’s White Jazz Narrative », un journaliste de MTV attaque violemment le film :
« L’effet pervers d’avoir choisi Gosling pour interpréter ce charmant joueur de jazz réside dans le fait que La La Land devient un film où , tel un cheval de Troie, un héros blanc devient le grand sauveur du jazz. Un peu comme Matt Damon avec La Grande Muraille ou Tom Cruise dans Le Dernier Samourai, la sauvetage d’une minorité dépend des efforts d’un homme blanc bien intentionné. (…) Gosling est approché par John Legend, qui interprète ici le rôle d’un jazzman jouant dans un groupe connu et qui le supplie à genoux de rejoindre son groupe parce que personne n’est aussi talentueux que lui pour caresser les touches de ses mains blanches et nacrées. (…) Legend dit à Gosling que le jazz était une musique innovante à la base, et que s’il refuse d’accepter ça, il n’est pas en accord avec l’esprit du jazz. Gosling acquiesce, puis change d’avis et ouvre finalement son propre club de jazz qui est un succès. Il y embauche un joueur de piano noir qui joue pas mal mais qui n’est, comme le dit Gosling, pas excellent, autrement ce serait lui qui détiendrait le club! (…) Le premier film de Chazelle, Guy and Madeline on a Park Bench, a pour personnages principaux un homme noir (Jason Palmer) et une fille latino (Desiree Garcia). Mais ce sont les premiers pas indé d’un diplômé d’Harvard, pas un film de studio à 30 millions de budget. (…) D’après Variety, Chazelle a parlé à Michael B. Jordan pour le rôle de Gosling, mais cette possibilité impliquait le fait que Lionsgate produise un film concourant pour les Oscars sur un Noir luttant dans le monde du jazz plutôt que contre l’esclavage et que Jordan fasse la cour à une actrice blanche dans une version moderne de Save the last dance. Chacun de ces deux scénarios semblent invraisemblables. »
Hollywood pourrait se lasser de ses auto-portraits
Cette lutte entre Moonlight et La La Land dépend aussi de l’image que l’industrie du cinéma hollywoodienne voudra renvoyer au monde entier. Ces dernières années, les votants ont montré leur préférence pour des films réflexifs ayant pour problématiques : qu’est-ce que le spectacle ? Ou comment devenir une star ? On pense à Argo (2013), Birdman (2015), The Artist (2012). Il est clair que La La Land se place dans cette filiation. Moonlight est moins inscris dans une filiation claire, disons qu’il se situe dans la tradition des films plus engagés, s’intéressant à une minorité ou à un fait divers. On pense à Spotlight (2016), Démineurs (2010), American Beauty (2000) ou Slumdog Millionaire (2009).
Évidemment, il est plus difficile pour les votants de s’identifier à un Black gay issu des quartiers ravagés par la drogue de Miami mais faire le choix d’un tel film plutôt que d’un nouveau film réflexif sonnerait comme une prise de position forte, un puissant message qu’Hollywood enverrait à l’administration Trump et au reste du monde. Un journaliste du site américain Uproxx le résume ainsi : « On s’achemine vers le scénario suivant : si Moonlight l’emporte, l’industrie hollywoodienne sera rachetée, si c’est La La Land qui l’emporte, ce sera comme d’habitude. »
Réalité sociale vs. irréalisme de la comédie musicale
Un autre reproche que certains ont adressé au film de Damien Chazelle se situe au niveau de son rapport à la réalité. Ces reproches concernent surtout le personnage de Mia. Sa carrière fulgurante en a énervé plus d’un, selon un article du Telegraph :
« C’est la transformation de la carrière de Mia qui a irrité certains spectateurs. Mia (Stone) part de serveuse dans un café pour atterrir directement sur le tournage d’un gros film tourné à Paris et écrit pour elle, tout ça grâce à son modeste one-woman show. »
Le fait que, tout en étant barista à temps partiel, Mia puisse vivre dans un aussi bel appartement et roule en Prius a également été remarqué :
La La Land taught me that in LA even a barista can afford a Prius and live in a fancy kostan.
— Shandy from IT Dept. (@shandya) 17 janvier 2017
Mais cette forme de déréalisation est typique du genre de la comédie musicale dont La La Land est une forme de pastiche. Encore une fois, la comparaison avec Moonlight, un film, qui, à l’instar de ses personnages, ne se départ jamais des enjeux sociaux, rend l’opposition entre les deux films encore plus forte. L’un représente une fuite enchanteresse hors de la réalité et l’autre suit un parcours plus ancré dans le réel.
Mais, par ailleurs, les deux films ont des aspects similaires ; une poésie revendiquée et un lyrisme généreux, leur auteurs sont de jeunes réalisateurs-scénaristes à la vision très personnelle. Leur présence à ce stade de la course aux Oscars est déjà une réjouissante nouvelle en soi.
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