Philosophe et sociologue, Geoffroy de Lagasnerie réanime la bonne question de l’engagement des intellectuels. Penser, c’est faire de la politique.
Quitte à négocier avec la phosphorescence polymorphe constitutive de toute pensée, Geoffroy de Lagasnerie se rue vers la simplicité pour énoncer son projet : “A quoi sert ce que je fais ? Pourquoi écrire ? Pourquoi publier ?” Manière d’écho à la détermination d’un Michel Foucault : “Tout ce que je fais, je le fais pour que ça serve”.
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A quoi ? Pour le moins à la contestation des systèmes de soumissions dans lesquels nous nous débattons et auxquels, plus ou moins consciemment, nous collaborons ; mais aussi à mettre sa pensée à la disposition de ceux qui sont les victimes, souvent consentantes, de ces soumissions.
Une unité de différences
Ce qui ne veut pas dire que l’auteur pose dans la figure de l’intellectuel qui surplombe de supposés ignares ou rêve (sans doute pire, cauchemarde) d’une fusion hystérique dans la masse des damnés censément porteurs de vérité. Bien au contraire, Lagasnerie prône, entre les intellectuels et ceux qui ne le sont pas (ou moins), une unité de différences, une communauté d’influences réciproques (philosophiques, sociologiques, artistiques, militantes) qui autorise la discussion et ce faisant, de part et d’autre, le nécessaire remontage de bretelles.
Cette question de l’engagement n’est pas nouvelle, et Lagasnerie le sait bien qui inscrit son livre dans un dialogue avec les théoriciens “critiques” de l’Ecole de Francfort (Adorno, etc.). Mais sa reformulation hantée d’angoisse et de tristesse (on le saurait à moins au spectacle du monde actuel) fait un bien fou, un bien pour la pensée et le “savoir vivre ensemble”, quand de toutes parts rugit le monstre de la neutralité, – “comme la Suisse en temps de guerre” –, du repli sur soi entre soi, de la retraite.
Un moloch nommé “capitalisme”
Autant dire le triomphe de l’idéologie du fatalisme politique – le sinistre “il n’y a pas d’alternative” – dont se repaît un monstre encore plus dévorant que ces renoncements parce qu’ils entretiennent sa prospérité, un moloch que Lagasnerie appelle “tout simplement” par son nom : le capitalisme. Ce qui lui fait dire que le monde est “mauvais” et qu’il n’y a qu’une utopie éthique qui puisse non pas l’aménager mais le foutre en l’air.
Pour résumer à la diable, s’il y a d’une part les collabos du “il faut raison garder”, et d’autre part des résistants déraisonnables, cet essai encourage à prendre le maquis, et pas seulement par la pensée.
Penser dans un monde mauvais (PUF), 128 pages, 12 €
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