A-t-on encore le droit de ne pas aimer les enfants ? Oui, mais pas celui de critiquer leurs yeux ni leur nez. Et surtout pas quand c’est un personnage de roman.
Parmi les coupes et rewritings que vient de subir l’œuvre d’Agatha Christie en Angleterre (chez HarperCollins) et en France (aux éditions du Masque), dictés par les (occultes) groupes de “sensitive readers” que consultent de plus en plus souvent les maisons d’édition anglaises, il y a cette phrase issue de Mort sur le Nil, mettant en scène un personnage féminin.
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Voici ce que dit Mrs Allerton à propos d’un groupe d’enfants la harcelant : “Ils reviennent et me fixent, me fixent, et leurs yeux sont tout simplement dégoûtants, de même que leur nez. Et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants.” Résultat des coupes : “Ils reviennent et me fixent, me fixent. Et je ne crois pas que j’aime vraiment les enfants.” Ce personnage admet que ce sont les enfants en général qu’elle n’aime pas, pas spécifiquement ceux-ci car ils seraient… Égyptiens ? Et si c’était le cas, depuis quand un personnage de roman n’aurait-il plus le droit de ne pas être bon, gentil, altruiste ? Les maisons d’édition, de même que les héritier·ères ou sociétés qui gèrent les droits financiers de ces œuvres, ou encore les plateformes qui adaptent ces romans en films ou séries, ne le sont pas non plus.
Sous couvert de vertu – ne pas vouloir offenser telle ou telle minorité –, il ne s’agit que de la plus vulgaire vénalité. Et de la crainte, aussi, d’être montré·e du doigt sur les réseaux sociaux. Résultat : un blanchiment des auteur·trices, du passé, et de l’histoire. Une forme perverse de censure (au nom du bien) et de négationnisme qui est en train de créer des générations amnésiques. En plus de vider la littérature, et l’humanité qui y est représentée, de sa complexité, de ses nuances, de ses ambivalences. La littérature doit aussi représenter l’infamie, l’injustice, la tristesse. Imaginez des “sensitive readers” voyant en la mort de madame Bovary un “féminicide littéraire” et exigeant une réécriture de la fin en forme de happy ending ? C’est la porte ouverte à n’importe quelle forme de révisionnisme, et de bêtise.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 27 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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