La New Galerie à Paris présente le premier solo de la jeune sculptrice italienne, découverte lors de sa participation en 2021 à la 59e Biennale de Venise. Une histoire spéculative de l’humanité où la culture club plonge dans les cryptes et l’anthropologie s’augmente du cyber-féminisme.
Les œuvres d’Ambra Castagnetti ont beau être imbibées d’une matérialité trans-temporelle, elles procèdent néanmoins d’une pensée précise du présent. La préhistoire y est d’emblée spéculative, le Moyen Âge s’acoquine à la fantasy.
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Pour entrevoir les possibilités d’imaginer autrement le futur proche, ou même commencer déjà à fonder à neuf les alliances du présent, la jeune artiste italienne née en 1993 élargit le spectre temporel : la seule manière de se détacher du donné, d’une histoire linéaire qui aura contribué à cimenter les binarismes pour nous les présenter comme naturels.
Pour sa première exposition solo à la New Galerie, elle présente un corpus central de cinq sculptures de cire récentes. Celles-ci sont prolongées de tableaux sur textiles, d’une pièce portable en céramique et d’une vidéo issue de la captation d’une performance les activant. Il s’agira donc de corps, suggérés, ou plutôt d’organismes, postulés.
Héroïnes BDSM et humanoïdes-gisant·es
Cela se donne par une opération alchimique qui vise à transir, plutôt que simplement saisir, les mutations, métamorphoses et autres morphogenèses d’une pensée-corps s’étendant aux confins du vivant.
L’artiste, d’abord passée par des études d’anthropologie avant de se lancer dans la pratique artistique, porte une attention aux alliances électives : celles qui procèdent tout autant de perspectives spirituelles qu’elles se nouent par la culture club.
Ses bustes de cire, réhaussés de plomb, indiquent la transformation en cours, post-humaine et antispéciste à la fois. Héroïnes BDSM et humanoïdes-gisant·es convoquent ainsi l’élargissement des cyber-utopies des décennies précédentes pour embrasser le vivant tout entier.
Là où le Manifeste xénoféministe (2015) appelait à “laisser fleurir mille sexes” pour construire une techno-politique sexuelle trans et queer, Ambra Castagnetti prend ses prédécesseur·es au mot : la floraison n’est plus simplement humaine, mais étendue à la génération biologique embrassant le mouvement du monde.
Cyber-compost
L’ancrage dans une pensée du présent s’y trouve en germe. Ambra Castagnetti ne possède pas la nostalgie du cyberespace de ses aîné·es, mais plonge directement offline, dans ce “compost” qu’elle annonce en titre. Celui des corps et des cryptes, pour mieux implanter au sein du réel la déhiérarchisation des sources, règnes et registres que l’on disait autrefois caractériser la pensée Wikipédia.
Sauf qu’ici, au sein de ces pièces qui dessinent aussi la carte d’une communauté, Ambra Castagnetti traduit les hyperliens en rhizomes, la modélisation 3D en modelage et le scroll infini d’images en liquéfaction effective d’une cire potentiellement sur le point de s’embraser pour mieux renaître autrement, encore et encore.
Et si l’on perçoit, partout, des os et des côtes, des squelettes et des cages thoraciques, à la fois prémices et vestiges, cela concerne encore cette même manière de se situer dans le temps : Ambra Castagnetti ne jouit pas de la paralysie des fins de ses aîné·es.
Une histoire de l’humanité, une autre
Ici, la tonalité apocalyptique n’est pas de mise, l’urgence qu’éprouve sa génération n’a plus ce luxe : d’autres configurations sont à produire, pour habiter autrement, ici et maintenant.
On pense à un certain esprit similaire, prenant de l’ampleur chez certain·es théoricien·nes récentes. À l’instar du dernier livre posthume de l’anthropologue anarchiste David Graber allié à l’archéologue David Wengrow, Au commencement était… (2012), qui avançait que la seule issue pour reconquérir le présent était de se replonger dans la préhistoire.
Sa forme matériologique, cela sera donc cette cire, que l’on imagine encore tiède, d’Ambra Castagnetti. Les corps harnachés et augmentés qui s’y impriment la réchauffent, l’étirent et la remodèlent mille fois, sans jamais cependant s’attacher ni prendre racine dans aucun sol.
Ambra Castagnetti. Compost G¥rls, jusqu’au 27 mai à la New Galerie, Paris.
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