Déjà très accompli, le jeune réalisateur met en scène une tragédie d’aujourd’hui autour d’un pacte morbide. Impressionnant.
Chaque premier long métrage n’est-il pas le lieu d’une naissance (un·e auteur·rice) et d’une mort (le cinéma et ses vieux emblèmes) ? Nos cérémonies, premier long de Simon Rieth mais pas premier film (il présente un C.V. déjà impressionnant de courts multiprimés et habités), dialectise, en souterrain, cette théorie.
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Présenté à la Semaine de la critique en mai 2022 au Festival de Cannes, Nos cérémonies met en scène une tragédie d’aujourd’hui, celle qui unit Tony et Noé (les novices et impressionnants Simon et Raymond Baur, en photo, gueules d’ange passées par le mannequinat et champions de wushu, art martial chinois traditionnel), frères en fusion liés par un pacte secret et morbide qui autorise le petit à ressusciter de ses innombrables morts le grand par un baiser sur la bouche. Une Belle au bois dormant en royaume fraternel, incestueux, homo-érotique et, pour chaque mort, une renaissance filmée comme une épiphanie, un combat violent et sensuel, une lutte d’amour à mort.
Irréalité plastique
Si Nos cérémonies s’articule autour de cette boucle scénaristique, il fait aussi le récit d’un retour en terre d’enfance. Ici la station balnéaire de Royan, dont les réverbérations de son paysage terrestre et aquatique saisies par la cheffe opératrice Marine Atlan dans des jeux de contraste paroxystiques confèrent au film une forme d’irréalité plastique – parcelle solitaire coupée du reste du monde. Les deux garçons y reviennent comme des vétérans de guerre, sac sur le dos et démarche virile, pour y enterrer le père et sans doute l’enfance marquée par les disputes violentes de parents déchirés.
Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si l’une des seules présences adultes dans Nos cérémonies n’existe que sous l’apparence de cette dépouille en décomposition, comme le symbole d’un territoire encore lointain et inexploré, pas encore suffisamment vécu pour être filmé par un cinéaste qui n’a pas 30 ans mais qui a déjà longuement mûri les motifs chéris de son œuvre naissante.
Chérir le passé pour mieux lui dire au revoir
Quelque chose du métavers distingue Nos cérémonies, que l’on connaisse ou pas les courts de Simon Rieth, tous hantés par des frères, des morts et ce même spleen adolescent très de son temps, celui, mélancolique, qui se souvient avec nostalgie des années 2000 et porte encore des T-shirts fluo.
Devant Nos cérémonies, on éprouve la sensation de pénétrer alors dans un monde déjà très en place, avec la sûreté d’un regard pour témoin et l’expression limpide d’un accomplissement formel renversant. Le film orchestre la mise à mort de ses figures tutélaires (le père, le frère emblème d’une masculinité outrancièrement jouée et exhibée comme un superpouvoir maudit) comme on déboulonnerait des statues en héritage, celles qui empêchent Noé et le film tout entier de jouir.
Quoi de plus émouvant que cette exhumation, cette oraison funèbre en guise de premier long métrage-rituel pour un jeune réalisateur à l’évidence nourri par un imaginaire cinéphile vibrant (le format Scope employé ici comme révérence amoureuse), chérissant le passé pour mieux lui dire au revoir.
Nos cérémonies de Simon Rieth, avec Raymond Baur, Simon Baur, Maïra Villena (Fr., 2022, 1 h 44). En salle le 3 mai.
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