La splendide bande-son de la série « Les Revenants », signée Mogwai, a laissé des traces dans les esprits des Ecossais : le huitième album du groupe invite une armée de fantômes à hanter ses grands morceaux. Rencontre, critique et écoute.
Rennes, 6 mai 1998, dans les loges de l’Ubu, du temps du journalisme DIY sur photocopies A4. On questionne Mogwai, adorés dès le premier acouphène. Ils sont un peu dispersés, perdus entre leur postadolescence de petits branleurs hilares (les garçons ont un temps vendu des T-shirts imprimés “Blur: are shite”, qui ne mentionnent même pas le nom de Mogwai) et l’impression que leur post-rock est une encyclopédie millénaire et exhaustive des phénomènes physiques, métaphysiques et organiques. Ils se marrent entre eux, répondent par monosyllabes, maltraitent nos cours d’anglais avec les chardons ardents de leur accent d’outre-mur d’Hadrien. Déjà importants, chéris par John Peel, les Glaswégiens tournent un an après la sortie de leur premier album Young Team. Est-ce le début d’un voyage vers la lumière éternelle ou un éclair passager ? Impossible de préjuger, si tôt, du destin des Ecossais.
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2013. Le destin a traîné en longueur et les gamins ont pris de la bouteille, voire du fût. Formée en 1995, la “jeune équipe” a 18 ans. La majorité, huit albums, d’innombrables concerts à blesser les tympans dans des salles de plus en plus remplies, des kilomètres avalés dans des vans pourris puis des tour bus mieux capitonnés, la musique du Zidane, un portrait du XXIe siècle de Douglas Gordon et Philippe Parreno puis celle, plus originale encore, horrifique bande-son de la tourbe des cimetières, de la série Les Revenants : pour des branleurs, les Ecossais n’ont pas chômé.
Fiers ? Pas vraiment, explique Stuart Braithwaite, pas beaucoup plus bavard ou conceptuel qu’en 1998 : “Je n’aime pas ce mot, ‘fier’, je préfère celui de ‘content’. Ados, on rêvait de sortir un single, de jouer pour John Peel, de passer une fois au Barrowland, une salle mythique de Glasgow – et encore, on n’osait penser qu’à une première partie. Vingt ans plus tard, on est contents de pouvoir vivre de la musique, d’être plus amis que jamais, contents aussi de notre propre écosystème, d’avoir acquis une certaine indépendance, de posséder notre studio, c’est une liberté plutôt rare. Mais il y a plus important : vingt ans après, des gens semblent continuer à s’intéresser à nous.”
Éruptions magmatiques et dentelles mélancoliques
A sa manière, éruptions magmatiques et dentelles mélancoliques, coups de sang ou mélancolie de pluie écossaise, honnêtes disques ou très grands albums, morceaux corrects ou titres à chambouler les constellations, Mogwai a tranquillement dessiné son propre univers. Profil bas, durs à la tâche, c’est avec l’âge qu’ils se sont libérés de la pesante mythologie rock, de leur image initiale, des attentes des fans. Devenu institution, Mogwai fait désormais ce qu’il désire. Que désirait-il alors pour Rave Tapes, successeur à la hauteur du fabuleux Hardcore Will Never Die, But You Will? Rien, ou tout : ils n’en savaient rien. “Nous voulions faire un autre album. C’est tout. Le reste, les directions et les idées, ça arrive en studio. Par accident, d’heureux accidents.”
Merci, Stuart : expliqués ainsi, les raffinements soniques des Ecossais semblent un jeu d’enfants et Rave Tapes pourrait passer pour un album dans leur moyenne, uniquement rescapé du “bof bof” par quelques morceaux mordants ou l’utilisation plus poussée de l’électronique (la vertigineuse escalade vers la rage de la monumentale Remurdered, les motifs synthétiques et obsédants de Simon Ferocious, Repelish et la haine scandée d’un vieux discours de pasteur sur le rock diabolique, la très belle The Lord is Out of Control).
Faute grave, erreur classique des vieux couples qui ne s’écoutent que quand ils hurlent, qui ne laissent plus le silence s’exprimer. Car ces évidences passées, une autre image s’imprime sur les émotions de l’auditeur : ce ne sont pas seulement les Ecossais de chair, d’os et de sang qui font de Rave Tapes un grand album, mais également l’armée de fantômes et les échos de noirs souvenirs qui les ont accompagnés dans le Castle of Doom, leur studio.
Rien d’étonnant dans cette révélation en négatif : Braithwaite a perdu son père il y a deux ans et, peu de temps après, c’est collectivement que Mogwai affrontait la mort et ses peurs ultimes sur la splendide, tordue et très hantée BO des Revenants. Blues Hour, chantée comme une dépression au finale dantesque, l’ouverture Heard about You Last Night, magnifique réminiscence du premier morceau de Young Team, ou la tristesse contagieuse de No Medicine for Regret deviennent à leur tour des sommets, ou plutôt des abysses. Le clair-obscur a toujours été le génie de Mogwai ; il est sur Rave Tapes hanté de nuances infinies.
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