Dernière ligne droite pour découvrir, à la fondation Henri-Cartier-Bresson (Paris), le dialogue photographique entre les travaux du Français et de l’Américaine, tous·tes deux happé·es par le Mexique à quelques années d’intervalle.
À la fondation Henri-Cartier-Bresson, Helen Levitt (1913-2009) ne joue pas les têtes d’affiche. Dans l’espace principal, c’est une (belle) rétrospective consacrée au photographe et cinéaste Paul Strand qui prend ses aises.
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Il faut descendre une volée de marches jusqu’à la nouvelle salle du Tube (inaugurée en novembre dernier) pour retrouver l’Américaine. Au pied de l’escalier et tout au long d’un mur de la salle oblongue, sous une voûte en pierre, ses photos dialoguent avec celles, sur la cimaise opposée, d’Henri Cartier-Bresson (1908-2004 ) himself.
1941, le Mexique et le tournant de la modernité
On rembobine. En 1935, Levitt a 21 ans et sa pratique de photographe de rue, qui fera sa renommée, en est à ses balbutiements – c’est avant sa rencontre avec Walker Evans, et avec l’écrivain James Agee. Le passage de Cartier-Bresson à New York cette année-là sera décisif. Lui rentre du Mexique et les photos qu’il en rapporte fascinent Levitt… Si bien que la New-Yorkaise pur jus lui emboîtera le pas, quelques années plus tard, pour sa première et unique expérience photographique hors de son pays natal.
Nous sommes désormais en 1941 et Levitt explore plusieurs mois durant Mexico et sa périphérie. La photographe ne parle pas espagnol, ce sera un séjour solitaire, passé à arpenter une ville au tournant (brutal) de la modernité – là où la population rurale devient classe ouvrière, où l’architecture coloniale est malmenée par la ville industrielle qui pousse dans la poussière.
Regards complémentaires
Sur les photos exposées, l’artiste est sans surprise au plus près de ses sujets, dépourvue de tout regard ethnographique surplombant. Levitt ne fait pas semblant de ne pas voir l’extrême pauvreté dans laquelle la population qu’elle côtoie vit mais celles et ceux-ci sont affairé·es, travaillent, vaquent, se rudoient, regardent la photographe et se regardent, ou sont trop absorbé·es par leurs jeux pour lui prêter attention. Comme souvent chez Levitt, les enfants sont les stars de sa série, un peu plus dépenaillé·es qu’à New York, tout aussi débordant·es de vie et d’énergie communicative. Sans sacrifier à son art de la composition, la photographe saisit des clichés comme des réactions en chaîne, ou un plan de cinéma – rarement on aura eu autant l’impression de voir ses photos prêtes à s’animer.
Aussi une fois franchie la ligne d’arrivée de la section consacrée à Levitt, reste l’impression d’une malle aux trésors difficile à refermer. Et la complémentarité, voire le contraste qui ressort d’expériences de voyage et d’approches photographiques probablement similaires frappe d’autant.
En face, on retrouve avec plaisir les travaux mexicains d’Henri Cartier-Bresson – possiblement déjà vus à Arles, ou lors d’une exposition précédente à la fondation HCB, lorsque celle-ci siégeait encore dans le XIVe arrondissement parisien. Mais d’où vient cette impression de raisonnable, de sujets presque dociles dans des cadres si maîtrisés ? Le regard du Français est doux et toujours virtuose pour transformer l’instant en éternité ; toutefois, on cherche par réflexe la virevolte qui habite les clichés de sa cadette.
Chez Levitt, sky is the limit, comme si ses images contenaient une énergie, entre ironie et tragédie, un bruissement que seul son œil new-yorkais pouvait capter. Pour autant, la série issue de son voyage restera longtemps oubliée – sa valise mexicaine à elle. Il faudra attendre un demi-siècle pour que la photographe se replonge dans ses tirages et négatifs, dont elle sélectionnera 67 clichés qui paraîtront en 1997 dans une monographie sobrement intitulée Mexico City. Le beau catalogue édité par la fondation Cartier-Bresson reprend ce corpus et prolonge le dialogue entre les photos de l’Américaine et celles du Français, celles-là même qui auront inspiré à Levitt le seul séjour à l’étranger de sa vie.
Henri Cartier-Bresson, Helen Levitt, Mexico à la fondation Henri Cartier-Bresson, Paris, jusqu’au 23 avril.
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