L’exposition des photos d’Antoine d’Agata déçoit quand il y décrit de manière agitée ses frasques personnelles, mais passionne quand son regard documente la vérité du monde.
Autant aller tout de suite là où ça blesse : au coeur de la nuit. Car si ce sont des photos de jour prises par Antoine d’Agata pour l’agence Magnum qui couvrent les murs de son installation au Bal, dans le XVIIIe arrondissement de Paris – faites de pays en guerre, de violence sociale, d’immigrés clandestins à Sangatte, de cellules de prison, de silhouettes errant sur des paysages en chantier -, en revanche le monde de la nuit se détache au premier plan comme un espace-temps à part. C’est là que le photographe mêle avec le plus d’intensité sa vie et son oeuvre, ses visions et son vécu, ses déambulations oculaires et ses dérives sexuelles et narcotiques.
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Autant aller tout de suite là où ça blesse : c’est ce coeur vibrant et nocturne de sa photographie qui apparaît comme le moins intéressant, voire le plus surfait. Ce n’est pas une question de morale mais une question d’image, une affaire d’esthétique. La faute évidente à un excès d’expressionnisme, à un formalisme surfacturé, à un bougé des corps qu’on veut très évidemment « à la Francis Bacon« .
Des stéréotypes surfaits attachés à la nuit comme au désir
Faut-il vraiment, pour dire les convulsions du sexe et de la drogue, pour donner à voir les spasmes de l’orgasme et de la défonce, tordre et bouger l’appareil photo dans tous les sens ? C’est trop illustratif. Aussi redondant que la compulsion visuelle et sexuelle du photographe japonais Araki. Et chez d’Agata, cela n’aboutit trop souvent qu’à une « tendance floue » ou à des images de transe académiques. Étonnant paradoxe : cette partie la plus intime de son oeuvre et de sa vie, la part la plus chaude et provocante de son travail, paraît rejoindre les clichés éculés, les stéréotypes surfaits attachés à la nuit comme au désir. Je ne crois pas à cette fiction, à ces convulsions exagérées – ou suis-je à ce point un monstre froid, un critique d’art insensible aux affres de la chair ?
Reste alors une impressionnante scénographie d’exposition photographique, d’autant que cette salle pleine à craquer vient après une autre quasi vide, uniquement garnie de plusieurs piles d’affiches-tracts en libre accès – preuve s’il le fallait que le milieu de la photographie a définitivement fait tomber les cloisons qui séparaient reportage, photographie plasticienne, pratique performative et approche conceptuelle de l’image.
Une ouverture vers l’abstraction
La force de cet accrochage, résolument contemporain, laisse entendre qu’il y a chez d’Agata une économie particulière de l’image, et différents modes de circulation. Le photographe ouvre aussi son paysage visuel vers l’abstraction et s’offre d’autres possibilités formelles. Ainsi, loin du conformisme daté ou des frasques surjouées que constituent ses shoots nocturnes, ses photographies d’actualité, durement sérielles, répétitives, à la fois réalistes et sans affect, informatives et conceptuelles, manifestent un regard autrement plus acéré, plus dur, implacable, porté sur le monde tel qu’il est.
Anticorps jusqu’au 14 avril au Bal, 6, impasse de la Défense, Paris XVIIIe, www.le-bal.fr
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