Utilisée lors de la Women’s March anti-Trump, une image de l’artiste Shepard Fairey, alias Obey, représentant une jeune femme voilée divise les féministes.
Le 21 janvier, au lendemain de l’investiture de Donald Trump, l’essayiste féministe pro-laïcité Caroline Fourest tweetait : « Comment diviser la mobilisation des Femmes contre Trump en une image… Continuez comme ça et Trump sera là pour 8 ans. »
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How to divide the Women’s mobilisation against Trump in one image… Continue like this and Trump is there for 8 years. #TrumpInauguration pic.twitter.com/DYITfHeD23
— Caroline Fourest (@CarolineFourest) 21 janvier 2017
L’image est signée Shepard Fairey, plus connu sous le pseudonyme de « Obey », auteur du fameux poster « Hope » de Obama utilisé lors de sa campagne en 2008. Fairey en a réalisé deux autres, dans le même style, dans le cadre du mouvement We The People lancé par l’organisation à but non lucratif Amplifier Foundation, qui a contacté 24 artistes au total afin de réaliser des œuvres luttant contre « la haine, la peur et le racisme« .
Fairey distribuait des impressions de ses posters dans sa galerie de Los Angeles le jour de la Women’s March, le 21 janvier, et les avait mis en téléchargement libre sur son site afin que chacun puisse s’en emparer et défiler avec le jour J. L’objectif était de célébrer la diversité des femmes s’élevant contre Trump et militant contre le sexisme.
« Pourquoi utiliser le voile comme symbole de l’Islam ? »
Pourtant le poster représentant une jeune femme voilée d’un drapeau des Etats-Unis n’a pas fait l’unanimité, certaines lui reprochant – comme Caroline Fourest – d’afficher un symbole d’oppression des femmes en pleine lutte féministe ; d’autres, d’amalgamer islam et voile. Mona Eltahawy, féministe et musulmane, auteure de Foulards et hymens (éd. Belfond, 2015) a ainsi tenu à rappeler : « Je suis une femme musulmane américano-égyptienne qui se bat depuis 8 ans pour arrêter de porter le voile et je ne célèbre pas ce poster de Shepard Fairey. »
I am an Egyptian-American Muslim woman who fought for 8 yrs to stop wearing hijab & I am not celebrating this Shepard Fairey poster. pic.twitter.com/fL4ERCvWOh
— Mona Eltahawy (@monaeltahawy) 15 janvier 2017
Sur la version américaine du Huffington Post, l’écrivaine yéménite Elham Manea, qui milite pour la séparation de la politique et de la religion, signe un billet intitulé « Women’s March: pourquoi utiliser le voile comme symbole de l’islam ? » Elle résume le malaise qu’elle a ressenti à la vue du poster :
« Le voile est un symbole controversé. Si vous travaillez à la défense des droits des femmes, vous devriez le savoir désormais. Certains le voient comme un symbole religieux; d’autres comme un instrument de contrôle et d’oppression du patriarcat; et d’autres encore le considèrent comme un symbole de l’avancée d’un islam politique. »
« Pourquoi choisir un symbole – considéré comme un moyen d’oppression des femmes dans plusieurs parties du monde – pour représenter une religion si riche et diverse que l’Islam ? Ce n’est pas simplement malavisé, c’est une insulte faite à toutes ces femmes qui doivent le porter et subir les cicatrices psychologiques d’un tel fardeau. »
L’illustration de Shepard Fairey prend modèle sur une photo de Ridwan Adhami de 2007 (qui lui a donné son accord) :
« I Am America » 2007 Ridwan Adhami @RidzDesign x « We The People » 2017 Shepard Fairey @OBEYGIANT
Honored to be a part of this project. pic.twitter.com/xQk3f4w9UA
— Ridwan Adhami (@RidzDesign) 19 janvier 2017
La jeune femme posant sur la photo d’origine, Munira Ahmed, 32 ans, vit à New York, est musulmane mais ne porte pas le voile. Pour elle, le succès du poster de Obey s’explique par le fait qu’il représente une femme américaine et musulmane. « Vous pouvez fièrement être les deux » déclare-t-elle à Mashable. Effectivement, les photos de femmes, voilées ou non, posant lors de la Women’s March avec le fameux poster ont abondé sur les réseaux sociaux:
When you’re asked to pose with the poster bc #WeThePeople are greater than fear ✊????#Inauguration pic.twitter.com/hCJoAZwDEE
— Ayah Housini (@ayahhhousini) 21 janvier 2017
Women hold up posters saying « We the people are greater than fear » designed by Shepard Fairey, the artist of the iconic Obama Hope poster. pic.twitter.com/3h13nOQGQm
— Christen Gall (@christengall) 20 janvier 2017
Un mouvement qui se veut intersectionnel
Les posters de Fairey visaient à représenter le caractère intersectionnel de cette Women’s March qui invitait tout un chacun, sans distinction de couleur, de sexe, de genre, d’âge à défiler dans un même élan contestataire envers la vision du monde promue par Donald Trump.
C’est dans cette même optique que le mouvement officiel s’est doté de quatre co-présidentes censées incarner la diversité des femmes comme des Etats-Unis : Tamika D. Mallory, activiste afro-américaine, anti-racisme, féministe, anti-armes à feu, proche d’Obama; l’avocate et activiste d’origine latino-américaine Carmen Perez ; l’Américano-palestinienne musulmane voilée Linda Sarsour; et la styliste éco-responsable blanche Bob Bland.
Ce qui n’a pas empêché la polémique sur le manque de diversité de la lutte féministe, déjà relancée en novembre dernier lorsque les données concernant le vote des femmes avaient été publiées :
94 % des femmes noires et 68 % des femmes latino-américaines avaient voté pour Hillary Clinton, alors que 53 % des femmes blanches avaient voté pour Donald Trump.
En sus du poster d’Obey, une deuxième polémique s’est cristallisée autour d’un post publiée sur la page officielle de la Women’s March. Une activiste afro-américaine y invite les « alliées blanches » à davantage écouter et moins parler : “Vous ne pouvez pas nous rejoindre maintenant juste parce que vous avez peur aussi. Je suis née en ayant peur. » Or, en lisant le message, une pasteur de Caroline du Sud a décidé de ne plus se rendre à la marche à Washington comme elle l’avait prévu, relate le New York Times.
Pour elle, le message d’origine était faussé. « Nous sommes censées être alliées sur les questions d’égalité salariale, de mariage, d’adoption. Pourquoi dit-on maintenant que ‘les femmes blanches ne comprennent pas les femmes noires ?’ »
Ce à quoi Linda Sarsour, l’une des organisatrices, répond : « “Oui l’égalité salariale est un problème. Mais comparez le revenu moyen des femmes blanches à celui des femmes noires ou d’origine latino. » Bob Bland, elle, a même demandé aux femmes blanches participant à la Marche de « tenir compte de leurs privilèges et de prendre en compte le combat des femmes de couleur. »
Depuis, le débat sur l’intersectionnalité, la blancheur du féminisme et la difficile homogénéisation du mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur outre-Atlantique, chacun y allant de son avis sur la question. Sur le Guardian, Keeanga-Yamahtta Taylor, professeure au département d’études afro-américaines à Princeton, rappelle que pour prendre de l’ampleur et peser dans le débat politique, un mouvement doit par nécessité accepter d’être « hétérogène« , et rappelle que ces Marches constituent « le début et non la fin« :
« Ces marches auraient-elles du être plus multiraciales et embrasser la diversité des classes sociales ? Oui! Mais vous n’êtes pas un organisateur sérieux si votre réponse à cette question s’arrête là. Le défi désormais est de savoir comment comment nous allons de là où nous sommes actuellement à où nous souhaitons aller, c’est-à-dire rendre nos marches plus noires, plus métissées, et englobant davantage toutes les classes socio-professionnelles. Se contenter de se plaindre ne changera rien. »
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