Une jeune femme s’interroge et son inquiétude va croiser les angoisses de notre temps. Une fantaisie poétique, joyeuse à la folie.
Après s’être mise dans la peau d’un caillou, – oui, la peau ! oui, d’un caillou ! – (Le Caillou, Le Tripode, 2015), voilà que pour son nouveau roman Sigolène Vinson s’infiltre dans une palourde. Certain·es ont une araignée au plafond ; elle, c’est une palourde.
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À la façon de Prévert qui s’invitait à l’enterrement d’une feuille morte, tout commence par un avis de décès. Celui d’une palourde donc, dont il sera bientôt avéré que sa mort n’est pas naturelle. Le nom de l’assassin·e ? Une centrale hydroélectrique qui rejette dans un étang du sud-est de la France des palanquées d’eau trop chaude pour le commun des palourdes.
Une seule palourde vous manque et tout est dépeuplé. Surtout dans la vie de la narratrice, habitante d’un village de pêcheur·ses proche du drame, qui vit en retrait mais pas en retraite. Journaliste pour un canard local, elle se déplace “de kermesse en kermesse, de crèche vivante en crèche vivante”. Le meurtre par pollution de l’amie palourde la réveille en pleine nuit, suant à essorer ses draps.
La narratrice conjure ses terreurs par un humour vagabond qui n’épargne pas grand monde
Ne cache-t-il pas des massacres encore plus angoissants ? La destruction massive des palourdes comme “une énième prouesse de l’humanité, un nouveau numéro burlesque dont il faudrait finir par tirer une leçon de vie”. Fichtre, ça ne rigole pas. Sauf que si ! La narratrice conjure ses terreurs par un humour vagabond qui n’épargne pas grand monde et surtout pas elle : “La largeur de mes dents me pousse à rire et j’ai bon espoir, tôt ou tard, de me changer en âne.”
“Tiens, il y a une noyée en moi”
Drôle de fille sympathique qui fait penser à Bernadette Lafont dans La Fiancée du pirate de Nelly Kaplan, libre de son corps au point d’avoir renoncé à une de ses fonctions, réputée essentielle : “L’amour ne m’intéressait plus. La sexualité encore moins […] Et j’avais fini par mener une existence où le plaisir n’était plus qu’un lointain son de fifre, une formalité dont je me serais dégagée.”
Ce qui la conduit fatalement à tomber dingue amoureuse de celui qu’il ne fallait pas. Un certain Jean qui cumule un avantage – c’est un beau motard – et deux inconvénients : il travaille à la centrale électrique de la mort et il n’aime pas celle qui l’aime depuis toujours, c’est-à-dire depuis les cinq premières minutes qui suivirent leur rencontre.
Que faire quand “va, tout s’en va”, pire que dans la chanson de Léo Ferré ?
De palourde en vipère, d’anguille en aigrette, Sigolène Vinson feuillette un bestiaire qui ouvre ses pages à bien des humain·es : François, vieux pêcheur colérique ; Babeth, commerçante en asticots qui glose sur ses baignades nue dans l’étang ; Youssef, éleveur de dindons, et sa compagne Marie, deux philosophes pragmatiques. Autant de figures radicales libres et encourageantes.
Que faire quand “va, tout s’en va”, pire que dans la chanson de Léo Ferré ? Quelques lignes disent tout du fantastique poétique appliqué comme un baume par l’homéopathe Sigolène Vinson : “Tiens, il y a une noyée en moi. La noyade, avant le stade où j’enfle et je bleuis, me va bien. Mais je ne veux pas être morte pour toujours.” Sigolène Vinson, magicienne de sa langue, diseuse de bonnes aventures, voyante de nos craintes. Sa Palourde nous méduse.
La Palourde de Sigolène Vinson (Le Tripode), 176 p., 19 €. En librairie le 4 mai.
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