Une collection de chansons écrites à l’encre vénéneuse pour produire un concentré de noirceur dont le titre dit tout de son influence gothique.
La place qu’occupe le groupe du chanteur Matt Berninger, des frères guitaristes Dessner et d’une autre fratrie, les Devendorf, en section rythmique est à la fois royale et peu enviable. Trop savant pour le mainstream et trop rassembleur pour les esthètes, le rock racé de The National tient sur une ligne de crête à la beauté parfois sous-estimée. Et au sein d’une discographie où le tiède côtoie le sublime, on oublierait presque que The National a signé d’authentiques chefs-d’œuvre.
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Ainsi Boxer (2007), point d’équilibre improbable entre fièvre springsteenienne et cafard joy-divisionesque ; mais aussi Sleep Well Beast (2017), immense labyrinthe de tensions rentrées. Or, First Two Pages of Frankenstein pourrait être l’exacte synthèse de ces deux sommets : du premier il retient le souffle immédiat et du second, le miracle d’un “rock adulte” où la juxtaposition de ces deux termes ne ressemblerait pas à une triste blague. Cela en fait-il leur monument ? Pas nécessairement, mais un album au moins aussi scotchant que l’indélébile High Violet (2010).
The National s’en remet à son artisanat consommé
Le groupe s’étant de plus en plus ouvert aux collaborations, on compte ici quelques invité·es de marque, dont Sufjan Stevens sur la splendide ouverture Once Upon a Poolside – même si sa présence y est aussi fantomatique que le frisson nocturne du clavier. Plus conséquente est la part accordée à Phoebe Bridgers (This Isn’t Helping). Pourtant, la pythie du rock indé contemporain se fait voler la vedette par Taylor Swift sur le magnifique The Alcott.
Mais le plus important est ailleurs. Dans ces chansons où The National seul s’en remet à son artisanat consommé, comme sur Eucalyptus, son titre le plus immédiatement chavirant depuis l’immarcescible Fake Empire – dont il serait le proche cousin, les cuivres en moins – avec ce band name-dropping (“What about the Cowboy Junkies?/What about The Afghan Whigs?”) qui se poursuit dans le titre du joyau suivant, New Order T-Shirt.
On pourra objecter qu’il existe une recette Dessner, mais elle sert d’abord la façon dont l’écriture met le doigt sur les indicibles orages que le quotidien peine à cacher. Pour gratter jusqu’à atteindre cette qualité de noirceur qui en définit le style, avec cette nuance gothique que souligne la référence à Mary Shelley. Comme le dit le refrain crève-cœur de The Alcott, nous n’avons d’autre choix que de retomber en amour.
First Two Pages of Frankenstein (4AD/Wagram). Sortie le 28 avril.
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