Rédacteur en chef invité des Inrocks, Abdellatif Kechiche dresse le portrait d’un de ses cinéastes frères
Dans le grand nombre de prestigieuses et intimidantes filiations cinématographiques que l’on m’a si souvent prêtées, et dont je me sens infiniment honoré, un nom n’a pour ainsi dire jamais été prononcé, or c’est justement celui dont je revendiquerais la filiation avec le plus d’évidence. Il s’agit de Jean-François Stévenin. Et il s’inscrit certainement plus que moi dans la veine des grands noms du cinéma français ; d’abord parce qu’il les a pour la plupart côtoyés, jusqu’à en être parfois très proche, ensuite parce qu’il en a visiblement puisé le nectar, pour enfin s’en affranchir avec grâce et devenir ce cinéaste unique qu’il est aujourd’hui. Un artiste immense dont l’œuvre jaillit du plus profond de ses tripes. Ses films sont une confession. Sa principale motivation est la recherche d’authenticité, cet idéal cinématographique auquel j’aspire également. Authenticité, c’est d’ailleurs le premier mot que l’on entend prononcer clairement dans le premier film qu’il a réalisé, Le Passe-Montagne (1978). Dans cette scène d’ouverture, son personnage, tel un ermite se lançant dans une quête, s’attelle à gravir une montagne. Cette aspiration quasi sacrée explique très certainement son caractère peu prolixe (trois films en vingt-cinq ans), mais qu’importe au regard de son exigence et de sa générosité. Ses films sont un tel condensé de tendresse, d’humour, de sensualité ; son attachement à y mettre en valeur les marginaux, les exclus, ceux qui sont dans l’ombre, les petits, les figurants, les doublures ; sa façon de les approcher, de les aimer ; son désir d’unir, de pardonner, de rapprocher témoignent d’une hypersensibilité rare, et d’une capacité d’amour sans pareilles. Acteur admirable dans ses films, comme dans ceux des autres – je me souviendrai toujours de son interprétation dans Deux lions au soleil (1980) de Claude Faraldo, et de cette scène à pleurer de rire, sous les jupons d’une bourgeoise qui le prend en otage ; cette autre scène magnifique d’émotion dans 36 fillette de Catherine Breillat (1988), où il se dispute avec sa fille et finit par s’en prendre à lui-même ; cette autre scène encore dans De l’amour de Jean-François Richet (2001) où, pris en otage dans la forêt, il pète un plomb et entonne un air de Johnny sous la pluie. La liste des scènes dans lesquelles son interprétation touche à la grâce serait beaucoup trop longue à énumérer. Je ne peux toutefois pas faire l’impasse sur cette extraordinaire scène d’étreinte avec Jean Paul Roussillon dans Mischka (2002), où il semble nous livrer les clés ésotériques de son cinéma. Un cri d’amour étouffant d’intensité.
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Abdellatif Kechiche
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