Parce qu’il en avait assez de voir des touristes brandir leurs selfie sticks dans les allées du Mémorial de l’Holocauste de Berlin, le satiriste israélien Shahak Shapira confronte ces étranges souvenirs de vacances à des photos de la libération des camps de concentration. Le résultat est sidérant.
Elle est couchée sur un bloc de béton, la tête renversée et fendue par un large sourire, les jambes tendues vers le ciel. À peine effleurée avec la souris de votre ordinateur, la photo de cette touriste visiblement ravie de son séjour à Berlin se teinte de noir et blanc et change brutalement de décor : c’est devant une montagne de chaussures qui appartenaient à des déportés que la jeune femme fait désormais son numéro de charme.
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Mis en ligne cette semaine, le projet Yolocaust.de, une contraction de l’expression « Yolo » (« You only live once ») et du mot Holocauste, rassemble quelques-uns des innombrables clichés pris par les millions de touristes qui visitent chaque année le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe.
Toutes ces photos ont en commun d’illustrer le manque de respect dont font preuve beaucoup de visiteurs, qui dans leur extase architecturale semblent passer totalement à côté de la solennité qu’impose le lieu, et voient dans cet impressionnant labyrinthe de béton au mieux un décor graphique pousse-au-selfie, au pire une aire de jeu ou de pique-nique, comme en témoigne le paquet de photos de touristes perchés sur les stèles de béton du mémorial qui traîne sur Instagram.
Danser au milieu d’un charnier
Croisées avec des photographies historiques des camps de la mort, ces clichés de vacances prennent une dimension terrifiante : une jeune femme qui esquisse un pas de danse au sommet d’un bloc de béton se retrouve à danser au milieu d’un charnier, un groupe de touristes à poser autour d’une charrette sur laquelle s’entassent des cadavres décharnés…
Avec ces photomontages, le satiriste israélien basé à Berlin Shahak Shapira veut pousser les visiteurs à réfléchir à leur attitude. Sans se départir de son humour habituel : « Je souhaite que les selfies au Mémorial de l’Holocauste deviennent encore plus embarrassants que Nickelback », nous explique-t-il, en faisant un clin d’œil à ce groupe de métal canadien dont tout le monde se fout sur le web.
Shahak Shapira s’est fait connaître en Allemagne il y a deux ans après s’être fait tabasser le soir du réveillon parce qu’il avait filmé un groupe de jeunes qui braillait des chansons antisémites dans le métro berlinois. Plutôt que de rentrer en Israël, comme certains le lui conseillaient, ce jeune artiste de 28 ans a publié son autobiographie, dans laquelle il relate sa jeunesse dans une petite ville de l’est de l’Allemagne truffée de néonazis et parvient à aborder l’antisémitisme avec une sacrée dose d’humour et d’autodérision.
Cela faisait déjà plusieurs mois que ce projet de photomontages sur le Mémorial de l’Holocauste de Berlin lui trottait dans la tête, confie Shahak Shapira, qui n’en est pas à sa première intervention, comme il l’explique:
« J’ai déjà fait un gag avec une équipe de télévision en faisant croire aux gens qu’il était interdit de faire des selfies sur le site du mémorial et que cette infraction était punie d’une amende de 120 euros et d’un retrait de deux points sur le permis de conduire. Cela a permis à beaucoup de gens de finalement comprendre que leurs selfies sur place étaient assez déplacés. »
« Un mémorial de la honte »
C’est la violence des propos tenus cette semaine par un des ténors du parti d’extrême droite AfD, Björn Höcke, ancien professeur d’histoire et président du groupe AfD au Landtag de Thuringe, qui a déclaré que le monument était « un mémorial de la honte« , qui a poussé Shahak Shapira à lancer Yolocaust.de, et à le « dédier à [s]on néonazi préféré, Bernd Höcke », reprenant ainsi une blague des présentateurs de la célèbre émission satirique allemande Heute-show, qui s’échinent à appeler le politicien populiste « Bernd » au lieu de « Björn » Höcke après qu’il sest plaint publiquement qu’un journaliste l’ait nommé ainsi par erreur…
Durant les douze premières heures qui ont suivi son lancement mercredi, le site Yolocaust.de a été consulté plus de 500 000 fois, selon l’attachée de presse de Shahak Shapira. Le projet a une résonance massive sur les réseaux sociaux, et malgré la violence des photomontages, suscite majoritairement des réactions positives. Sur Facebook, une internaute témoigne:
« J’ai dû expliquer un nombre incalculable de fois à des touristes en train de pique-niquer qu’ils se trouvaient dans un cimetière symbolique pour six millions de morts. »
En dénonçant une poignée de preneurs de selfies sans gêne, Shahak Shapira a déjà donné une leçon de bonne conduite à certains. Depuis la mise en ligne du site, au moins deux photos ont été retirées à la demande des intéressés.
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