Le studio montpelliérain DigixArt apporte un étonnant prologue à son formidable “Road 96” centré sur la relation entre deux ados sous un régime autoritaire.
Ce pourrait bien être la fin. La fin d’une époque, d’une illusion, d’une phase de la vie de ses deux personnages principaux : Zoe, fille d’un ministre du très autoritaire président Tyrak dont le (premier ?) mandat de dix ans touche à sa fin, et Kaito, plus proche de ses opposants systématiquement présentés comme des terroristes.
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Pour celles et ceux qui ont pratiqué Road 96, il s’agirait plutôt du début car Mile 0 prend place un mois avant les événements de la précédente (et superbe) création des Montpelliérains de DigixArt dont on recroise certaines figures (la journaliste star Sonya Sanchez, le petit génie Alex…). Son intérêt réside en bonne partie ici : dans ce sentiment d’entre-deux, incertain, entre reprise, variations, contre-pied et fuite en avant. Qui vaut aussi sur le strict plan de l’expérience de jeu.
Le littéral et le métaphorique
Prequel, spin-off ou crossover – car Kaito était le héros du jeu musical Lost in Harmony du même studio –, Road 96 : Mile 0 est un peu tout cela à la fois, mais ses deux axes majeurs restent l’aventure point & click (avec des choix d’actions et de dialogues à faire régulièrement) et le rhythm game. Un peu Life Is Strange, un peu Sayonara Wild Hearts, donc, le propos politique en plus. Tels les rebelles de They Live de John Carpenter, la très privilégiée Zoe va-t-elle percevoir l’oppression qui se cache derrière la propagande du régime (bien transparente à nos yeux) et qui n’échappe pas à son ami issu, lui, d’une famille d’origine étrangère de la classe des “travailleurs” ? À chaque groupe social son rôle et ses lieux de vie, d’ailleurs, dans ce monde très hiérarchisé (dont on se venge en taguant et déchirant les affiches du gouvernement).
Mais il n’y a pas que l’aisance avec laquelle le jeu passe du littéral (la représentation d’une société au devenir totalitaire) au métaphorique (les très sensuels parcours musicaux, en skate pour Kaito, en rollers pour Zoe) : ludiquement, Mile 0 frappe aussi par sa maîtrise tout en souplesse de l’art du pas de côté. Au fil de son récit court mais dense, on a ainsi droit à des parties de Puissance 4, à de la simulation de tatouage au feutre, à des mini-jeux d’arcade rétro, à de l’espionnage de confessions amoureuses au talkie-walkie…
Album musical
Exaltant se faisant une certaine idée, voisine de l’invention et idéalement en coopération, de la liberté même dans un espace étriqué, l’œuvre de DigixArt se fait ainsi beaucoup pardonner – notamment quelques lourdeurs et hoquets techniques, en tout cas dans sa version Switch. Drôle de jeu, donc, que ce Mile 0, qui semble par moments s’égarer ou perdre de vue son propos supposé mais tire justement de ces glissements successifs son émouvante cohérence pop effrontément adolescente.
Mutant à plus d’un titre, ce jeu-film dont on aime les grands paysages autant que les petits intérieurs a vocation à se transformer en jeu-album fantasmagorique une fois la fin du récit atteinte, avec ses dix “pistes” (à entendre dans un double sens musical et sportif) prêtes à être reparcourues à volonté en essayant éventuellement de progresser. Et en dansant, voluptueusement, avec les doigts.
Road 96 : Mile 0 (DigixArt/Ravenscourt), sur Switch et Windows, environ 13€.
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