Lolita trash, vamp vintage, “sad” girl next door : Lana Del Rey échappe aux modes, tout en créant depuis une décennie les esthétiques les plus tendances de l’époque. Trajectoire d’une icône.
Mars 2012 – Lana Del Rey, 24 ans, déclare sans appel qu’elle n’a aucun style propre. L’autoconstat provocant est imprimé dans les pages du magazine Vogue UK dont elle fait la couverture en robe baby doll Louis Vuitton. C’est la première fois que la jeune sensation YouTube apparaît dans un titre mythique de mode. Et elle s’en joue, déjà sur la défensive.
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Il y a tout juste six mois, le monde découvrait la New-Yorkaise dans le clip au collage postmoderne Vidéo Games. Entre images rétro du Château Marmont, bribes de Fantasia, jeunes roulants en Vespa, elle s’insère dans une esthétique “Hollywood sadcore” brushing auburn, mascara coulant, épais bijoux hip-hop et blouse romantique.
Mi-contemporain mi-rétro
À l’image du clip, son style vestimentaire est un assemblage de poches plurielles entre rétro et low-class, et obsède rapidement la mode. La marque Mulberry crée un It bag aux courbes sixties en son honneur, tandis que la maison Dior l’invite à chanter à Pékin. Ovni de 2012 aux cheveux trop gonflés, lèvre supérieure trop bombée et ongles trop pointus : elle ne ressemble ni à Adele et son look diva, ni au style surréaliste de Lady Gaga et ultra fashion de Rihanna. Elle se détache et se décrit à coups d’archétypes fictionnels mi-contemporain mi-rétro, mi-fille du peuple mi-jet-set, mi-glamour mi-trash : “Nancy Sinatra Gangster”, “Lolita perdue dans les bois”, et “Je vis à Monaco mais ne me teste pas”, liste-t-elle à Vogue en 2012.
Onze ans plus tard, la chanteuse authentiquement inauthentique aux multiples visages est toujours là. Dans la série photo accompagnant son neuvième album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd, elle se dévoile en large chemisier en broderie anglaise un brin virginal, exposant sa poitrine, créant une tension entre son corps de femme – ayant essuyé un body shaming sans vergogne ses derniers mois – et son look d’ado coquette.
Une garde-robe qui ne correspond pas aux podiums contemporains, mais chez Lana Del Rey être hors mode n’est pas à l’encontre du zeitgeist de l’époque, bien au contraire. Ses compositions rétro ne cessent de raconter le temps présent incarnant la fonction même de la mode :
“La mode sait flairer l’actuel, si profondément qu’il se niche dans les fourrés de l’autrefois. Elle est le saut du tigre dans le passé” écrivait le philosophe Walter Benjamin dans Sur le Concept d’Histoire.
Le moi pluriel à l’heure des réseaux sociaux
En 2012, elle bondissait dans le passé pour raconter une génération internet nouvelle. Short en jean déchiré, Lana Del Rey traîne dans des motels avec des motards tout droit sortis d’Easy Rider, ou joue les vampes lynchéenne en longue robe de velours : toujours plurivoque, à la fois vierge et catin, sa garde-robe est un kaléidoscope du cinéma et de la musique populaire américaine. Cheveux crantés à la Vivien Leigh, gonflée à la Priscilla Presley, ou lissée noir avec perfecto grunge, elle compose dans la banque d’image de l’Amérique en ligne et en libre circulation.
À l’ère des réseaux sociaux, et de la poésie d’un moi cubiste offert à tous·tes, elle suggère que “la seule manière d’être soi et en paix avec soi-même est de s’inventer comme une fiction, comme une image” écrit l’historienne de l’art Karen van den Berg dans son article dédié à la chanteuse “Last Exit Underclass”.
De clip en clip, elle avance avec la culture internet, qui s’entiche de son esthétique “sad girl”. La plate-forme Tumblr – réseaux de microblogging ou s’agrègent fragments de clips d’Arctic Monkeys, série ado et images bucoliques – l’érige en muse, et son nom devient synonyme de l’esthétique #Tumblr2014. Veste de Formule 1, larges anneaux hip-hop, jeans skinny ou robe enfantine en dentelle coiffée d’une couronne de fleurs : un style composite, mêlant la coquette et le grunge, la naïveté et la désillusion. Parfait pour les adolescent·es de l’ère indie sleaze (à la fin des années 2000).
De Gucci à Shein
À la fois accessible est inaccessible, icône du temps présent, et vestige de film en noir et blanc, l’univers fictionnel de Lana Del Rey rencontre en 2017 celui d’Alessandro Michele. Directeur artistique de Gucci de 2015 à 2022, le créateur fan d’historicisme, fils d’une costumière hollywoodienne, fera de la chanteuse son égérie, et l’imaginera en Américaine au foyer des années 1970 ou en madone en robe virginale théâtrale coiffée de plume au MET 2018. Pourtant, à la différence de la plupart des chanteuses Lana Del Rey ne se laisse pas attraper par la mode de créateur, et revendique son côté girl next door Américaine habillée d’un vestiaire populaire accessible. En minirobe Shein à découpe, coûtant 18 dollars, elle fait scandale en décembre 2021 lors de la cérémonie des Variety ou elle recevait le prix de l’artiste de la décennie. Le tout accessoirisé par une veste de sport masculine, et des bottes beiges pointues. Un fashion faux pas critiqué par les internets et qui la ramène à la performance White Trash lisible depuis ses débuts.
“Ce qui donne de la magie à Lana Del Rey, c’est l’alliage entre la fille sans sous, perdue et qui rêve d’Hollywood, tout en étant devenu ce mythe hollywoodien. Elle parvient à garder cet équilibre permettant aux gens de s’identifier et de rêver depuis plus de dix ans”, conclut le styliste et directeur artistique Nikita Vlassenko.
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