Des serpents, un Coyote, des dessins, Maxime, un temple égyptien,… Récupérer ses points de permis de conduire c’est la pire des amendes.
Une lettre de la préfecture arrive. A l’intérieur, une date et un lieu en guise d’origine de la sanction, une obscure contredanse d’il y a six mois. Boulevard Richard Lenoir, à 200 mètres à peine de la rédaction des Inrocks, voiture de loc’, consultation d’un mail dans un bouchon, agent en civil, amende payée électroniquement sur place, trois points en moins. La lettre conclut : « il vous reste deux points sur votre permis ». Chaque personne croisée depuis la réception de cette missive me le dit, et me le redit pour l’avoir testé dans la moitié des cas, « plus le choix, fais un stage gars« .
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Huit jours plus tard
Quatorze serpents en pierre auréolés d’une lumière verte, des poutres sculptées de hiéroglyphes dorés et deux statues égyptiennes massives font oublier une seconde pourquoi je suis là, à 8h, un vendredi matin. En réalité, la boîte vendéenne qui organise ce stage loue ces locaux parisiens « pas toujours facile à trouver« , justifiera un formateur, à des Rosicruciens, « sorte de francs-maçons, ajoutera-t-il. C’est ce qui explique ce décor ésotérique. » Au dessus des statues s’affiche l’inscription « temple Christian Rosenkreutz », aka Christian Rose-Croix, le fondateur de cet ordre chrétien clairement porté sur l’Egypte.
Passé ce deuxième étage onirique de l’espace Saint-Martin, situé près de Châtelet, un petit escalier en colimaçon amène vers une salle vidéo équipée d’un rétroprojecteur et d’un tableau de manager, ceux avec des feuilles qui se lèvent les unes par dessus les autres. Nous, les dix stagiaires, sommes disposés en U.
L’un des deux formateurs – celui que nous nommeront Joe-le-barbu – nous demande « comme à l’école » de noter nos prénoms sur des bouts de papier. Un type en retard se fait un peu afficher. Il s’est inscrit par erreur, la nuit dernière, quatre fois au même stage, « 1000 euros les quatre points ça fait cher« , taquine le second formateur Joe-le-rasé-de-près (bien qu’anonymisés, ils avaient réellement le même prénom). Moins marrant, on découvre qu’on a pas tous payé le même prix pour le même stage. La fourchette varie de 220 à 265 euros. Comme pour un billet d’avion, les sites qui remplissent ces stages prennent leur com’ au passage. Il faut comparer un peu avant de réserver son siège.
« T’es un malade ? »
Pour bien se faire créditer nos quatre point à la fin du stage, le formateur rappelle trois conditions :
1. Il ne faut pas avoir fait de stage ces 365 derniers jours.
2. Il faut être sûr d’avoir perdu ses points, c’est-à-dire avoir reçu une information officielle.
3. Il ne faut pas être à zéro.
Matthieu intervient. Il est dans ce troisième cas : il n’a plus aucun point. Mais comme il tente de faire annuler l’une de ses amendes, son avocat « bien informé » lui a conseillé de faire ce stage. Maxime se fait sermonner et menacer de changement de place s’il continue de raconter sa vie à ma voisine, Julie, seule présence féminine dans cette salle. « Les filles sont plus prudentes que les garçons, c‘est conforme aux statistiques« , nous dit Joe-le-barbu. En effet, des camemberts projetés sur un écran nous apprendront un peu plus tard que, sur un an, 82 355 hommes perdent tous leurs points de permis, contre seulement 6 343 femmes. « C’est la testostérone« , ajoute, hilare, Grégory, stagiaire trentenaire en scooter à trois roues.
Selon le règlement intérieur, on doit éteindre les ordinateurs. Je sauve le mien en arguant que je prends tout en note. Ce qui me vaudra des questions régulières de mes coreligionnaire du type : « Mais pourquoi tu prends tout en note ?« , « T’es de l’IGS ?« , « T’es un malade?« , « Tu vas faire un article : ‘J’ai testé pour vous’ ?« …
Joe-le-rasé-de-près précise en guise d’introduction :
« On ne dit pas : ‘stage de récupération de points’ [comme dans notre titre par exemple] mais ‘stage de sensibilisation aux risques routiers’. C’est toute l’ambiguité, se désole Joe-le-rasé-de-près. Vous venez pour des motivations différentes des nôtres. »
« De toute façon c’est pécunier ça, on le sait très bien », lâche Grégory. Personne ne relève.
A la pause, on constate que même le petit coin est égyptien.
Le point Grégory
Le premier atelier s’appelle « présentation croisée », chacun doit dépeindre son voisin. Profession, habitudes de conduite, véhicule, historique des accidents, questions éventuelles.
Mon voisin, c’est Omar. A 51 ans, ce directeur commercial d’un groupe d’informatique, spécialisé « dans le pétrole et le para pétrole », réalise aujourd’hui son deuxième stage. Il a un doute sur l’utilité de ces deux jours où, à la fin, « il n’y aura plus rien dans [sa] tête« . Dans sa voiture, il téléphone non-stop. « C’est mon bureau, résume-t-il. Mais j’ai un kit mains libres intégré. Tous les points, en fait, je les perd avec la vitesse. » Avec sa conduite sportive et ultra stressée, la dernière fois, il s’est fait chopper sur un Paris-Bretagne à 190 km/h. Son avantage : sa boîte ne pratique pas la dénonciation, donc, quand il se fait flasher avec sa voiture de fonction, il paye l’amende et ne perd aucun point. A-t-il changé quelque chose après son premier stage ? « Oui, j’ai acheté un Coyote pour détecter les radars. »
Une fois le tour de table terminé, on s’aperçoit qu’avec Amine, Jérémy, Matthieu, Stéphane, Julie, Maxime, Omar et Benjamin, on a tous les mêmes défauts : être speed, franchir des lignes blanches pour doubler en scooter et téléphoner au volant.
Après avoir présenté son voisin, Grégory revient sur la logique financière : « Le permis à point est-il un business ? Car je n’y vois aucune logique, sinon pécuniaire. » S’il continue à se focaliser sur l’argent, nous allons appeler ça le point Grégory.
Un peu d’Égypte pour la route :
On termine le premier jour par un petit jeu consistant à dessiner la courbe évolutive du nombre de morts par an. On est globalement passé de 18 000 morts en 1970 à 4000 en 2010. Point Gregory : « Il y avait trop de morts, et ça coûtait trop cher à l’État, donc bien sûr tout est une question d’argent. » Le groupe le plus éloigné des vrais chiffres (et qui donc perd le jeu) est celui de Stéphane, Amine et Matthieu. Ils doivent amener les croissants demain.
« Le stage, plus jamais ça »
Le deuxième jour, c’est vraiment celui de trop. Interminable, soporifique. Surtout un samedi. Dans l’escalier des serpents et des hiéroglyphes, Benjamin me résume un avis assez partagé :
« Les amendes, tu payes. Les points, tu les perds. Tu te rends pas trop compte. Mais après le stage, tu te dis plus jamais ça. C’est la vraie sanction, ils t’ont à l’usure. »
On mange les croissants et pains au chocolat apportés par l’équipe perdantes de la veille. Faut dire qu’ils avaient proposé un peu n’importe quoi. Maxime me demande de l’eau, je lui fais remarquer qu’il est palot. « J’ai pas dormi de la nuit« , précise-t-il. « J’ai marché dans Paris avec un pote et une bouteille. » On se poile avec Omar chaque fois que Maxime pique du nez ou que son regard se perd de longues minutes. Souvent, quoi.
Un petit film légèrement propagandiste sur « l’engagement des politiques » en matière de sécurité routière s’enclenche. Ça démarre en 1970 avec Chaban-Delmas. Le Premier ministre qui vient de perdre sa femme dans un accident de la route parle du « fléau qui s’abat sur la France« . 1974, Valérie Giscard d’Estaing utilise le mot « hécatombe« . 1980, Rocard annonce « de la répression et de la prévention« . Années 2000, Chirac se dit « horrifié » par les routes françaises. Son Premier ministre Raffarin surenchérit sur cette « pathologie nationale« . La palme du modéré revenant, comme souvent, à Sarkozy qui karchérise en 2010 : « Je n’accepterai jamais un message laxiste concernant la lutte contre la violence routière. »
Si notre vessie explose on peut en mourir
Maxime ne parle plus, il lutte contre le sommeil et les verres de Brouilly de la pause midi. Stéphane, importateur de produits asiatiques, a les yeux fermés. Point Grégory : « C’est pas que les points, le stage te coûte aussi ta journée de boulot. » Benjamin, le producteur de films sur Internet, dessine.
On nous passe des diapos, des schémas, on débat. Maxime semble s’éteindre de plus en plus. Mais soudain, il lève la main : « J’aimerais faire une parenthèse« , introduit-il. Déjà mort de rire, Omar me bouscule pour que je sois attentif. Maxime nous explique qu’en cas d’accident, si notre vessie explose, on peut en mourir. Il est sérieux. Rires.
Après deux jours, la logique du stage, c’est une sorte de proverbe chinois : on te file pas juste à manger (tes quatre points), on t’apprend à pêcher (ne pas perdre de points ou en regagner toi-même). Avec un vernis sur tout ça : il faut te réapprendre l’esprit des règles, leur logique intrinsèque.
Pas sûr que ça marche. Grégory nous dit qu’il va désormais faire passer la carte grise de son scooter trois roues « en entreprise ». L’idée étant de faire comme Omar, afin de ne plus perdre ses points en demandant à son employeur de ne pas le dénoncer en cas de flash au radar. D’ailleurs, Omar a profité des heures de stage pour télécharger sur Android la nouvelle version du Coyote détecteur de radar.
Geoffrey Le Guilcher
Bonus : la magnifique peinture murale
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