Sorti en 1935, « It Can’t Happen Here » de Sinclair Lewis vit aujourd’hui une seconde jeunesse aux Etats-Unis. Un succès lié à l’un de ses personnages principaux, un dictateur, ressemblant étrangement à Donald Trump.
L’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Au point que ceux qui, quelques décennies plus tôt, ont tenté de prévoir notre présent ont pu parfois tomber juste. Ce fut le cas de Herbert George Wells, le créateur de La Guerre des mondes, qui décrit en 1903 (The Land Ironclads) des véhicules de guerre ressemblant fortement aux véhicules blindés utilisés près de quinze ans plus tard durant la Grande Guerre, avant d’imaginer un nouveau type de bombe radioactive en 1914 (The World Set Free) dont le fonctionnement est très proche de celui de nos premières armes atomiques.
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Il en va de même pour la technologie domestique, internet en tête. Benjamin William Bova, Daniel Francis Galouye, John Brummer, tous avaient inventé dans leurs fictions des dispositifs proches de notre VR, de nos MMORPG et des virus informatiques.
Les récits politiques semblent user de la mécanique inverse. Les structures sociales décrites dans les dystopies sont plus souvent inspirées des régimes présents ou passés pour se projeter vers l’avenir. Et servir par là d’avertissement pour le lecteur : regardez ce qui s’est produit, et ne refaites pas les mêmes erreurs.
Personne n’avait vu venir Donald Trump. Pourtant, un roman de 1935 connaît en ce moment aux USA un regain de popularité singulier. Dans It Can’t Happen Here, Sinclair Lewis, plus connu pour son grand succès Babbitt, raconte l’arrivée au pouvoir d’un politicien démago et raciste, qui promet aux Américains de rendre au pays sa grandeur et sa prospérité, d’augmenter leurs salaires et de les protéger des étrangers, en s’appuyant sur les valeurs traditionnelles de l’Amérique. Serait-il possible que Lewis ait prédit l’arrivée au pouvoir de Donald Trump ?
Tous les populistes se ressemblent
« Windrip ne doutait pas qu’un jour d’importants échanges commerciaux n’aient lieu entre la Russie et l’Amérique et, bien qu’il détestât tous les slaves, il avait fait décider la création de cours de russe à l’université de son Etat. » (It Can’t Happen Here, Sinclair Lewis, 1935)
Impossible Ici, de son titre francisé, est écrit à l’époque pour projeter le fascisme montant en Europe dans la société américaine. Les références à Hitler sont plus qu’évidentes, et guidées par l’expérience de Dorothy Thompson, journaliste de renom ayant rencontré Adolf Hitler en 1931, et accessoirement femme de Sinclair Lewis. Le personnage en question, Berzelius Windrip, le « candidat des oubliés » comme il se décrit lui-même, n’hésite pas à parler de « race américaine« .
.@louis_aliot : «#Trump veut défendre les oubliés, comme @MLP_officiel !»#AuNomDuPeuple #BFMStory pic.twitter.com/U46DtybUsl
— Bruno Lervoire (@BLervoire) January 16, 2017
Dans le fond, Lewis n’invente rien. Le populisme ne fonctionne pas vraiment différemment aujourd’hui qu’il y a 80 ans. Aussi, le rapprochement entre le dictateur de fiction et le nouveau président américain est facile à faire.
. Read: "It can't happen here" by Sinclair Lewis. It's eye opening.
— JusttheFacts (@starklydefiant) September 21, 2016
Si facile que beaucoup de lecteurs américains l’ont fait, de telle sorte que le livre est devenu une référence régulièrement utilisée pour décrire la montée en puissance de Donald Trump durant la campagne. Un replacement dans l’actualité qui vaut au livre une seconde jeunesse, au point qu’il n’est plus disponible aujourd’hui sur Amazon après avoir été écoulé récemment à plus de 320 000 exemplaires selon le New York Times. En France, les éditions de La Différence viennent de le rééditer dans la traduction de Raymond Queneau, sous le titre Impossible ici.
Sinclair Lewis’s novel “It Can’t Happen Here” is making a comeback as an analogy for the Age of Trump https://t.co/dppB8C7fL6
— New York Times Books (@nytimesbooks) January 17, 2017
Un succès paradoxal quand on sait que le livre avait été certes bien accueilli à sa sortie pour sa dimension politique, mais mal reçu par la sphère littéraire américaine qui lui reprochait un style pataud et un certain manque de précision. Sinclair Lewis lui-même peinait à le défendre en public, conscient de l’avoir écrit à la va-vite (seulement six semaines). Si bien que It Can’t Happen Here a fini par passer inaperçu au milieu de l’œuvre de celui qui fut le premier Américain à obtenir le prix Nobel de littérature en 1930.
Un avertissement jamais entendu
“Bien sûr, Windrip prétend qu’il mettra les banques au pas, mais, une fois qu’il sera au pouvoir, il leur accordera l’importance qu’elles doivent avoir et il écoutera nos avis autorisés. Pourquoi être si effrayé du mot « fascisme », Doremus ? Qu’est-ce que c’est ? Un mot, rien qu’un mot ! » (R.C. Crowley, banquier, à Doremus Jessup, dans It Can’t Happen Here, Sinclair Lewis, 1935)
It Can’t Happen Here est un pamphlet politique à contretemps, qui d’une certaine façon n’aura jamais réussi sa mission. Dans les années 30, Lewis et Thompson veulent attirer l’attention des Américains sur la proximité dérangeante des méthodes du gouverneur de Louisiane Huey Long avec celles d’Adolf Hitler. Finalement, c’est son assassinat, alors qu’il souhaitait défier Roosevelt à l’élection présidentielle de 1936, qui stoppa net Huey Long.
En 2016, les observateurs politiques Américains se servent d’It Can’t Happen Here pour alerter les citoyens sur ce qui est en train de se passer. Mais là encore, c’est un échec. Reste à voir si la découverte massive du récit de la résistance de Doremus Jessup, personnage central du livre, au régime totalitaire de Berzelius Windrip, inspirera les Américains pendant ces quatre prochaines années.
From It Can't Happen Here, Sinclair Lewis. #FascismInAmerica #resist pic.twitter.com/nZZw6F2lMM
— Jeff Seale (@docstymie) January 9, 2017
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