Plutôt que d’écrire un énième article sur « la façon dont le premier album de Daft Punk a modifié à jamais le disque français », on a demandé aux jeunes musiciens du pays de refaire la tracklist, 20 ans après. Avec une mission en deux temps : choisir un morceau emblématique et raconter comment le duo les a influencés.
LUC, DU GROUPE GRAND BLANC
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Derrière son clavier, Luc se charge d’organiser les matières synthétiques qui enveloppent les chansons malades du groupe Grand Blanc. Auteur d’un des albums de pop froide les plus fiévreux enregistrés dans la France de François Hollande, il nous raconte sa rencontre avec Daft Punk à l’époque du câble, de MTV et des hommes-chiens qui déambulaient dans New-York avec un ghetto-blaster.
« J’ai découvert les Daft Punk au collège, je devais avoir 12-13 ans. Pour les gens de ma génération c’était soit le grand frère de ton petit camarade de classe qui te faisait écouter ça avant de rejoindre sa soirée, ou alors il y avait MTV avec le clip de Da Funk. Pour ceux qui avaient le câble. Pour moi, c’était le premier cas de figure … Le grand frère de mon meilleur pote qui avait 17 ans se faisait des petites raves party dans la Fench Valley, près de Metz. Et pour ces gens là, impossible de passer à côté du succès de Thomas et Guy-Man. Quand il nous a fait écouter Rollin’ and Scratchin’ (la violence direct) puis Da Funk ça a été une sacrée surprise pour mes oreilles. J’ai clairement adoré la violence et le rythme. C’était un des tout premier single. Ils étaient encore chez Soma je crois, avant de rejoindre Virgin. Deux titres qui disent absolument tout des Daft. Après si je devais en garder une ce serait Rollin’ & Scratchin’ . Ca a plus de 20 ans et il
n’y a pas grand chose depuis qui monte autant en pression. La drum sonne grosse cave, énervée comme jamais et toujours indémodable. La pattern la plus débile du monde mais tellement efficace pour secouer les cheveux. Toutes les mélodies et les sons noise autour donnent l’impression que tu te connectes en 56k et que ça fait exploser ta cuisine, ta freebox et ta playstation en même temps. Homework a clairement ouvert la porte pour la scène techno française vers l’international. Et elle ne s’est toujours pas refermée. Cet album a créé un peu plus tard cette fameuse expression » french touch » et ce n’est pas rien. Surtout pour un premier album. »
https://www.youtube.com/watch?v=Gbb8kZw-xRg
LAZARE HOCHE
Sous l’alias bonapartiste de Lazare Hoche, le Parisien Charles Naffah écume les terminaux d’aéroports pour convertir les villes du monde entier à sa house. Il tient à tout faire tout seul depuis le début et se repose sur ses propres structures depuis 2012 (LHR puis Oscillat Music). Vous pouvez checker ses mixes, ses podcasts et son travail avec Malin Génie sur son Soundcloud.
« Je vais choisir le morceau Fresh. Parce qu’il est sublime de simplicité et à la fois très sous estimé. Il a été clippé par Spike Jonze et les Daft eux mêmes, le thème du chien du clip de Da Funk est repris, mais dans un univers plus heureux. La signature des productions Daft Punk est ici copieusement employée, l’usage d’une boucle de sample, d’un filtre coupe haut et d’un phaser mais dans une optique moins dance floor que les tubes de cet album. Le côté plus « easy listening » me rappelle leur morceau Make Love sorti huit ans après Homework sur l’album Human After All. Plus que n’importe quel autre morceau de l’album, Fresh est un titre que je peux écouter en boucle. Inutile d’enfoncer les portes ouvertes sur combien les Daft m’ont influencé. C’est indéniable, les producteurs de musiques électroniques français de ce calibre se comptent sur les doigts d’une seule main. »
LA FRAICHEUR
DJ et productrice française désormais installée à Berlin, La Fraicheur n’était pas sûre d’avoir quelque chose d’intéressant à dire sur Daft Punk et le vingtième anniversaire d’Homework. Son dernier clip est dispo de ce côté du site.
« Alors évidemment, en tant que jeune productrice et DJ, je devrais sauter sur l’occasion dans la course à la visibilité, tout ça, pour avoir mon nom cité dans le moindre article. Mais je préfère être honnête : à part le souvenir d’avoir trouvé le clip de Da Funk complètement trop cool quand j’étais ado (je devais avoir 12 ans a l’époque), puis d’avoir reçu le CD 2 titres de Around The World à une de mes boums d’anniversaire (et avoir été saoulée qu’on me le fasse jouer 45 fois cet après-midi là), Homework en particulier, et les Daft Punk en général n’ont jamais vraiment eu d’impact dans la formation de ma culture musicale en tant qu’ado. Ni dans ma carrière de DJ. En tout cas, pas directement. Je me suis formée pendant la deuxième vague de la French Touch au début des années 2000 avec le bourgeonnement de milliers de labels parisiens. L’impact de Daft Punk sur l’existence même de cette scène a forcément eu un rôle dans ma vie mais de manière indirecte. Alors malheureusement, je n’aurai rien d’intéressant à te dire là-dessus ! »
Les Inrocks : C’est l’une des réponses les plus intéressantes donc je t’avoue que je suis assez tenté de l’utiliser quand même.
« Hahah, non mais tu peux utiliser ce que tu veux. Perso, je n’ai jamais accroché avec Daft Punk et je ne saurais même pas t’expliquer pourquoi. Je n’ai pas de grandes théories ni d’arguments solides : ça m’a juste toujours fait ni chaud ni froid. Par contre, je leur suis reconnaissante, tout comme à Stardust, Motorbass, Air, Cassius, Alex Gopher, tous ces gens là, d’avoir décomplexé les Francais et de leur avoir fait comprendre que nous aussi on peut faire de la musique nouvelle et qui a du succès. La deuxième vague de la French Touch correspond à mon arrivée à Paris, vers 18 ans, toute fraîche. J’ai grandi dans cette effervescence : tout le monde produisait, tout le monde lançait un label, tout le monde était le designer d’une pochette de quelqu’un et de nouveaux vinyles sortaient toutes les semaines. Donc par ricochet, oui, merci Daft Punk. »
BAGARRE
De la chanson française à la ghetto house, Bagarre réussit des figures de styles encore plus impressionnantes sur scène que sur leurs photos de presse. Vous pouvez mater le clip du Gouffre à volonté dans le player caché sous ce code.
« On est vraiment entré dans Homework par le côté ultra punk de Rollin’ and Scratchin’. Dans Bagarre, on est trop jeune pour avoir vu Homework sortir. On ne l’a pas écouté dans son contexte de l’époque. Mais quand on l’a découvert, certains d’entre nous avaient quitté le rock hardcore noise, pour s’engouffrer dans la techno dure du de l’époque du Berghain, au tout début. Marcel Dettman,Ben Klock… Du coup, Daft Punk apparaissait comme une espèce de pop-electro mainstream et trop tendre. Mais un jour en trainant sur Youtube, on est tombé sur un live de 1997 à Los Angeles où ils jouent (sans leurs casques) une version de Rollin’ and Scratchin’ totalement folle. Un truc hyper acid et trance, un truc vraiment dur ! Là on a pris une grosse claque, et on s’est dit, en fait ces mecs sont des oufs. »
ZIMMER
Parmi les musiciens talentueux de nos amis de Roche Musique, Zimmer s’emploie à imaginer la Californie en plein centre de Paris. Masterisé sous la vigilance d’Alex Gopher, Ceremony, son dernier EP, prouve qu’il maîtrise aussi bien les contrastes d’ambiances et de textures que son mentor. Il nous parle révolution et TR-909 dans le texte qui suit.
« Lorsque j’ai écouté Homework , il y a 20 ans, ce n’est pas forcément le morceau qui m’a le plus marqué. Mais avec les années c’est devenu mon favori. C’est l’intro qui fait tout. La sirène de police, les cris de la fête, le quasi silence… Et ce beat qui rentre d’un coup. C’est vraiment un morceau fait pour être joué en club, qui a un impact incroyable. Un beat de 909, un sample de disco et une bassline à une seule note. Il est simple et désarmant d’efficacité. Je le ressors régulièrement dans mes sets depuis des années, et c’est toujours un moment intense. »
GUILLAUME, DU GROUPE THE PILOTWINGS
Originaires de Lyon, les Pilotwings sont le parfait trait d’union entre Daft Punk, les musiques de jeux-vidéo et Harold Faltermeyer. Si vous avez raté votre année 2016, vous pouvez découvrir leur premier album intitulé Les Portes du Brionnais en cliquant sur l’une des plus belles pochettes des derniers mois.
« Homework est une formidable collection de tubes house, pop et techno, et pourtant il nous a toujours été difficile de l’écouter d’une traite. En cause : sa longueur et la linéarité qui fait le charme des morceaux pris séparément. Discovery, à l’inverse, deviendra notre album de chevet pendant des années. S’il fallait choisir une piste d’Homework, ce serait Burning : l’urgence du morceau, son grain pété et son énergie sont restés intacts. Pour cette intemporalité, l’album mérite son statut de culte. »
ARMAND, DU GROUPE AGAR AGAR
Armand s’occupe des machines dans Agar Agar, le groupe français le plus frais apparu en 2016. Il écoute Autechre, Black Devil Disco Club ou encore Aphex Twin. Et comme il aime bien rendre à César ce qui lui appartient, il nous parle de Parris Mitchell pour boucler la boucle des influences.
« On le sait et on le répète, c’est toujours dans les b-sides ou dans ces tracks un peu oubliées (qu’on arrive même parfois à appeler « de transition » dans un album), qu’on trouve les intentions les plus affirmées et les attitudes les plus révélatrices de la démarche d’un groupe. Teachers est un de ces morceaux, qui en plus de dresser la liste des darons de la funk, du hip-hop et de la techno ayant influencé les Daft Punk, est lui-même très influencé (on peut presque parler de cover) par ce génial morceau de Parris Mitchell ft. Waxmaster : Ghetto Shout Out!! – qui, sur le même ton, salue tous les potes de chez Dance Mania et leurs clubs préférés. « And yo, you know I want y’all to check this shit out, right ? »
https://www.youtube.com/watch?v=sNjhsPt_8Gw
Propos recueillis par Azzedine Fall
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