Le 24 mars dernier, l’artiste pluridisciplinaire, et designer de mode, ayant collaboré avec la maison Jean Paul Gaultier en 2021, présentait sa nouvelle collection au 35/37 dans le cadre d’un défilé-spectacle. Poétique et politique “Concours de larmes” partira en tournée dès le mois de mai. Rencontre.
Quelques bribes de maquillage opalin plâtreux, demeurent collées au creux de son cou : la veille au soir, Marvin M’Toumo se muait en une créature hybride mi-humaine mi-bovine, mi-ange mi-démon, corps noir poudré de blanc, dans un corset étincelant. Au milieu d’un décor crème en forme d’œuf, il interprétait un double cathartique : le monstre des larmes. Un personnage aux cris aigus, qu’il a écrit, mis en scène en plus d’en dessiner et d’en réaliser la tenue, tout comme pour les autres créatures, composant son Concours de larmes.
Diva, clown triste, pleurnicheuse ou encore larmes de crocodile : six performeuses vêtues de minijupes Y2K, costume tailoring et robe en jacinthe et jasmin – réalisée avec la maison de fleur Debeaulieu – se sont succédé sur scène pendant près de 120 minutes en chantant, dansant, chialant et riant. Une ode puissante à la colère, la souffrance portée par l’onirisme des vêtements, du maquillage surréaliste de Chaïm Vischel et de la musique sous la forme de collage hétéroclite.
Une présentation pirate imposant temps et réflexion
“À qui avez-vous promis de la joie ce soir ? À quoi vous attendiez-vous ?”, demande au public la narratrice du spectacle, interprétée par Davide-Christelle Sanvee, qui a reçu le prix Suisse de la Performance 2019 pour sa pièce Le ich dans nicht.
La réponse ? Sans doute pas ce format hybride conjuguant les codes des fashion shows, du ballroom, du cabaret, ou du théâtre. Pas autant d’émotions. Pas autant de questions.
Dans un secteur de la mode habituant ses spectateur·rices à être catapulté·es de show en show de moins d’un quart d’heure, Marvin M’Toumo bouscule avec sa présentation pirate imposant temps et réflexion. Il explique : “Ce n’est pas ce que devrait faire la jeune scène ? Questionner, proposer une autre voix. Aujourd’hui, il est facile de se faire broyer par le système des défilés et le rythme incessant des collections. Les jeunes créateur·rices n’ont plus le droit à l’erreur, à l’abstraction, à l’à-peu-près, au brouillon… encore moins quand ce sont de jeunes créateur·rices queer et noir.”
À contre-courant
Avec ce show, Marvin M’Toumo, 28 ans, ne choisit ni la facilité ni l’évidence, mais embrasse la complexité et la nuance. À l’image de son parcours, diplômé de l’École nationale supérieure de la villa Arson et de la Haute école d’arts et de design (HEAD) de Genève, il se construit entre mode, art plastique et art vivant. “J’ai commencé à faire des performances à 18 ans, quant à l’écriture, c’est vital pour moi. La mode ? Cela a toujours été un rêve. Mon premier rapport au vêtement, c’est le carnaval en Guadeloupe, soit un rapport déjà politique – communautaire, collectif, et spirituel.”
Critique, curieux et travailleur, le jeune homme discret passera haut la main toutes les étapes de l’industrie. Diplômé en design à 24 ans, il remporte l’année suivante le prix Chloé au festival d’Hyères, puis collabore avec les maisons Lognon, Chanel, l’éventailliste Duvelleroy et la maison Jean Paul Gaultier dans le cadre d’une collection capsule intitulée Les Marins. En parallèle, il ne lâche pas le spectacle vivant et compose des costumes pour plus de trois pièces. “Je n’ai pas envie de choisir”, explique-t-il en citant une longue liste de figures à contre-courant : Azzedine Alaïa, sortie du calendrier saisonnier des collections dans les années 1980, Thierry Mugler et Alexander McQueen aux shows spectacles légendaires ; ou enfin le designer malien Lamine Kouyaté, père de la marque pionnière dans l’upcycling Xuly Bët. “Ils ont prouvé qu’il existe d’autres manières de faire”, commente le designer.
La question du gaze
Avec ce spectacle soutenu par Jean Paul Gaultier parfum, Marvin M’Toumo lance sa marque éponyme qui articule mode et art vivant, et rend ainsi hommage aux figures qu’il admire. Nuancée, combinant tragique et légèreté, ce premier chapitre articule une double réflexion : celle sur la place de l’expression des sentiments dans une société patriarcale, et celle de l’hégémonie d’une vision blanche et masculine cis dans l’histoire de la culture visuelle.
“L’histoire des larmes m’obsède depuis plusieurs années. C’était le sujet de mon mémoire de fin d’année à la HEAD. Les mannequins peuvent-elles pleurer ? Quel est le prix d’une larme de mannequin ?”, explique Marvin M’Toumo avant d’enchaîner sur le sujet du regard sur les corps noir et queer. “C’est à la fois le fruit de lectures personnelles, et des échanges avec mon équipe. Mes six performeuses ont des corps différents, et elle ne se genre pas de la même façon. Il n’y a pas d’évidence, tout est constamment questionné ce qui permet de court-circuiter tout stéréotype. On aboutit à une proposition poétique, construite à notre échelle. Ce n’est pas une réponse, à cette vaste question décoloniale, mais une contribution”, conclut le jeune homme.
Pendant 120 minutes, ce sont des corps noirs pluriels, ayant regagné leur droit au second degré, au paradoxe et à l’abstraction que Marvin M’Toumo et son équipe dessinent. Le tout, habillé d’une proposition mode mêlant pièces hyperféminines ultra-tendances, et codes couture signature du jeune créateur. Aujourd’hui, Marvin M’Toumo termine l’écriture du prochain chapitre de sa marque et se bat pour tourner la page de son premier chapitre. La mode parisienne est-elle prête pour un Concours de larmes ?
Plus d’informations sur le spectacle et les dates sur l’Instagram de Marvin M’Toumo.