La parution d’un encart faisant la promotion du collectif anti-IVG « En marche pour la vie » dans les pages du « Figaro » a suscité de vives critiques des internautes, mais aussi des lecteurs et même de la classe politique. En interne, certains journalistes aussi ont eu du mal à avaler la pilule.
Le 12 janvier dernier, une publicité au cœur du quotidien Le Figaro surprend autant qu’elle choque : le journal a vendu une page entière à la Marche pour la vie, défilé anti-avortement qui a lieu chaque année en janvier. Sur Twitter, les réactions ne se font pas attendre :
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Est-ce légal de faire de la publicité pour un mouvement anti-IVG ? @laurossignol @Min_FEDDF @MarisolTouraine @MinSocialSante ? cc @Le_Figaro
— Paye Ta Shnek (@PayeTaShnek) 12 janvier 2017
Les anti-IVG à l’offensive! Jusque dans les pubs d’un grand journal comme @Le_Figaro! Inquiétant. pic.twitter.com/ltkroaOLeP
— laurence rossignol (@laurossignol) 12 janvier 2017
Certains journalistes choqués et inquiets
Loin du réseau social, plus discrètement, certains journalistes du Figaro s’étonnent eux aussi, en ouvrant le journal dans lequel ils ont écrit, de découvrir une publicité pro-vie. Ils ne sont jamais consultés dans le choix des réclames. « Cela a suscité un vif émoi au sein d’une partie de la rédaction », décrit la Société des journalistes (SDJ) du journal dans un communiqué qui nous est parvenu quelques jours plus tard. En interne, un mail d’un représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ) tire la sonnette d’alarme. D’autres employés s’indignent : « Beaucoup de gens ont été blessés que le journal puisse se faire le véhicule de ce genre d’appel », nous confie-t-on, avant d’ajouter : « Car il ne s’agit pas d’une simple publicité : c’est un appel à manifester ».
L’ « inquiétude » et l’ « incompréhension » de certains des journalistes a provoqué quelques débats, face à d’autres qui n’y ont vu qu’une publicité comme les autres. « Ce n’est pas à un journal grand public national de lancer cette question [sur l’avortement] sans donner voix au chapitre à d’autres parties », tranche une plume de la rédaction, concédant qu’il puisse y avoir débat, dans un contenu rédactionnel. D’autant plus que, à côté d’articles scientifiques et sociétaux qui paraissent régulièrement dans le journal, cet encart vient « casser le travail des journalistes ».
Certains rédacteurs craignent donc d’être associés au message transmis dans cette publicité, ont peur d’être tous mis dans le même panier. « La première conséquence vient de l’extérieur », constate-t-on mardi matin lorsque l’on découvre, sur la porte du Figaro, un cintre, symbole de l’avortement illégal, accompagné d’un message d’Insomnia Riot. Même si cette action s’inscrivait dans un mouvement plus large du collectif, le quotidien n’a pas été pris pour cible au hasard.
Les féministes d’@Insomnia_Riot affichent leur mécontentement sur la façade du Figaro ! @LeFigaro_France @LeFigaro_News pic.twitter.com/Bo1CTI41bN
— sophiasept (@sophiasept) 17 janvier 2017
Pourtant, de nombreuses femmes, mais aussi des hommes, qui travaillent comme journalistes mais aussi qui font tourner cette énorme entreprise qu’est Le Figaro, n’adhèrent pas à ce retour en arrière. « C’est un courant de pensée qui prend de l’importance dans la société, et y compris au sein du Figaro, peut-on entendre dans les couloirs, mais il ne traduit pas la pluralité des opinons exprimées dans un grand journal comme le nôtre ».
La SDJ a rencontré le directeur des rédactions
Après la journée de jeudi, où la question n’a pas été abordée par la direction, la SDJ a souhaité, le lendemain, faire part des interrogations d’une partie du personnel à Alexis Brézet, directeur des rédactions. « On voulait qu’il réponde à certaines questions de nos collègues, explique la SDJ : pourquoi cette publicité ? A-t-elle été payée ? S’agit-il d’une position du journal ? ». Le directeur a tout d’abord « dit comprendre que certaines personnes (en interne ou en externe) puissent être choquées par cette publicité ».
Il a également confirmé « qu’il s’agissait d’une publicité (et payée en tant que telle) comme il en parvient de temps en temps au Figaro. Il a été questionné par la régie pub sur l’opportunité de la passer et il a pris la décision de le faire. Il ne s’agit donc pas d’une erreur ou d’une publicité qui serait passée sous les radars », précise encore le communiqué de la SDJ. Cette réponse, envoyée au sein de la rédaction et à d’autres médias, a renforcé l’indignation de certains employés du journal :
« Même si, d’un côté, c’est rassurant que le service publicité ne décide pas tout seul dans son coin, cela signifie, d’un autre, que c’est une réflexion qui a été réfléchie et validée par le directeur ».
Ce dernier ajoute « qu’il aurait été difficile de justifier un refus si Le Figaro avait été attaqué pour refus d’achat d’espace publicitaire (ce qui lui arrive parfois lorsqu’il constate un appel à la violence ou à la discrimination). Il dit que l’annonceur n’a pas demandé à ce qu’elle passe en page Science-Médecine (un point qui avait choqué certains en interne) ».
En accord avec la ligne éditoriale
“Il s’agit d’une opinion (les pro-life), a encore ajouté Alexis Brézet, qui a le droit d’être défendue, qui n’est pas illégale, pas injurieuse et qui représente la position de l’Eglise catholique et du pape, donc d’une partie de nos lecteurs.” Mais, peut-on préciser, non seulement la loi en France autorise l’avortement depuis 1975 mais l’Assemblée nationale, en décembre dernier, a adopté en première lecture le délit d’entrave à l’IVG, visant à condamner les organisations qui diffuseraient, « des allégations ou une présentation faussées » pour dissuader les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.
Même s’il a insisté sur le fait que « les publicités ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale », le directeur des rédactions n’a pas voulu répondre aux questions de la SDJ sur l’éventuelle parution « de publicités faisant l’apologie de la légalisation du cannabis ou des pro-avortement » dans son quotidien. On sait néanmoins qu’en 2013, le quotidien avait déjà validé une publicité de la Manif pour tous ; là encore, il s’agissait d’une incitation à agir, puisque le journal avait même glissé un bulletin d’adhésion au groupement contre le mariage pour tous dans ses pages.
« Grâce » à ce précédent, certains journalistes du Figaro n’ont pas été étonnés de découvrir une publicité comme celle de jeudi dernier dans leur journal. « Ça ne me choque pas », confie l’une de nos sources, qui se dit « libérale » sur le sujet :
“Je ne vois pas pourquoi toutes les opinions ne pourraient pas être représentées. En matière commerciale ou autre, l’interdiction d’expression n’est jamais bonne.”
Beaucoup notent ici, sans forcément approuver le message transmis, une « cohérence avec la ligne éditoriale du journal ». Au service web surtout, où un clivage tant générationnel que politique semble se dessiner avec le service papier, on ne s’étonne pas de ce genre de publicité, même si on reste choqué. « Mais on n’allait pas se mettre en grève pour ça, ce n’est pas vraiment la culture ici… Et puis on sait qu’on travaille dans un média de droite ».
Mais avec l’élection présidentielle qui approche, ce genre de positions inquiètent certains journalistes. Le climat apparaît tendu, surtout au service politique où s’est ajouté il y a quelques mois un changement de direction ainsi qu’un rapprochement entre les services en ligne et le papier. Autant dire que l’ambiance ne semble pas au beau fixe dans les locaux du Figaro, à quelques semaines du premier tour des élections.
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